1675-1693 - Les documents mentionnant des bonnets-rouges gabéricois

De GrandTerrier

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Les bonnets rouges gabéricois ont-ils manifesté leur colère à la fin du 17e siècle sur leur territoire ou dans les paroisses voisines ?

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Pour y répondre, la difficulté est que les gabéricois ne sont pas cités individuellement et nominativement dans les documents relatant les évènements même proches comme à Briec et Edern. Mais il est sûr que le tocsin a sonné à Ergué-Gabéric en plein mois de juin 1675 et il est fort probable que certains se soient rendus sur les lieux de rassemblement des révoltés, et sans doute ont-ils eu la chance d'échapper à la répression. Les années qui suivirent les évènements quelques-uns conservèrent dans leur garde-robe le fameux bonnet rouge.

Autres lectures : « 1657-1693 - Le mobilier et le vêtement dans la classe rurale au 17e siècle » ¤ « Hervé Lizien, père (1731-1787) et fils (1762-1794), agriculteurs et greffiers » ¤ « Inventaires Archives du Finistère » ¤ 

Présentation

La Révolte des Bonnets rouges fut une révolte antifiscale d’avril à fin 1675 dans l’Ouest de la France, sous le règne de Louis XIV, lequel avait déclaré la guerre aux Provinces-Unies en 1672. La contestation avait été déclenchée par une hausse des taxes, dont celle sur le papier timbré qui était apposé sur les actes authentiques, laquelle hausse devait financer la guerre.

En Basse-Bretagne il y eut plusieurs foyers principaux de rébellion : à Briec-Edern où la répression par le duc du Chaumes fut ensuite terrible, à Carhaix sous le commandement du notaire Sébastien Le Balp qui sera tué d'un coup d'épée, et dans le pays bigouden où il y avait aussi des « bonnets bleus » parmi les révoltés.

C'est surtout lorsque la rumeur courut que la gabelle [1] allait être rétablie en Bretagne que les paysans se sentirent menacés et renforcèrent les troupes des contestataires.

Les « bonnets rouges » étaient ainsi nommés dans les documents d'époque. Et notamment dans les compte-rendus d'interrogatoire qui accompagnant les opérations de répression, procès et condamnation à mort des meneurs. Ainsi dans les dépositions suite au pillage du manoir de Quinquis-Salliou (transcrites par Jean Lemoine dans les Annales de Bretagne de 1898-99), on note les expressions : « les Bonnets rouges les fussent venu mettre à feu et à sang ... », « crainte de leur furie, les menassant des Bonnets rouges ... » (cf ci-dessous la transcription complète en "documents de référence").

En pays bigouden, lorsque les révoltés se réunissent à la chapelle de Tréminou en Plomeur pour y rédiger leur code paysan dit « Règlement des 14 paroisses », ils décrivent ainsi la couleur rouge de l'uniforme de leurs futurs députés : «  lesquels seront défrayés aux dépens de leurs communautés, qui leur fourniront à chacun un bonnet et camisole [2] rouge ... ».

Participation au saccage du manoir de la Boixière à Edern

Certes les participants gabéricois à la Récolve du Papier timbré ne sont pas cités individuellement dans les documents d'archives, mais Ergué-Gabéric est réputée être l'une des 22 paroisses qui ont fait sonner le tocsin lors des émeutes. C'est en tout cas ce qu'affirme Laurent Le Quéau, un des meneurs, domicilié à Quéménéven, dans ses aveux avant condamnation (transcription intégrale par Jean Lemoine dans les « Annales de Bretagne » de 1887-88 page 193 et suivantes). Le document est conservé aux Archives Départementales du Finistère (Série B, Cour royale de Carhaix).

« Testament de Laurent Le Quéau, exécuté de mort à Quimper ».

A répondu qu'ayant appris que le sieur de la Garaine Jouan estoit porteur de la gabelle [1], lequel ils coioient estre au manoir de la Boixière chez Monsieur de Keranstret, ils résolurent tous ensemble de s'y en aller à dessin de les exterminer, où estant arrivez au nombre de quatre à cinq centz personnes ...

Apprès quoy avons sommé ledict Le Quéau de révéler ses complices pour esviter les peines de la torture, a dict être fort estonné qu’il soit seul puny pour un sy grand nombre de gentz qui furent au dict manoir de La Boissière des paroisses de Briec dans laquelle on fist premier sonner le toxain, de Saint-Dreyer, Landudal, Trefflez, Landrévarzec, Saint-Venec, Quéménéven, Cast, Plomodiern, Ploeven, Plonévez-Porzay, Chasteaulin, Saint-Goulit, Edern, Guelevain, Trégourez, Langollen, Corray, Elliant, Ergué-Gabéric, Plogonnec, de laquelle paroisse de Quéménéven vindrent chez luy .... il ne sçait pareillement les noms en la compagnie desquels il alla au dict bourg de Briec où il y avoit environ sept à huit centz hommes des lieux cy-dessus desnommez ...

Il est également écrit dans les aveux de Laurent Le Quéau que 600 à 700 [3] habitants de ces 22 communes cornouaillaises s'étaient rendues au manoir de la Boissière.

Ils pensaient trouver là un dénommé Garaine Jouan, notaire royal et supposé chargé de recouvrir l'impôt de la gabelle dont la Bretagne avait été exemptée jusqu'alors. Comme ils ne le trouvèrent pas, ils brûlèrent le château. Y avait-il quelques gabéricois parmi les pyromanes ?

Château de la Boixière-Boissière en Edern

Bonnets rouges inventoriés comme pièces d'habillement

La question mérite qu'on s'y intéresse : en cette fin du 17e siècle le bonnet rouge faisait-il partie de la garde-robe des Cornouaillais ? Cette pièce d'habillement est-elle mentionnée dans les documents d'inventaire de succession ?

Lançons donc cette recherche archivistique. Pour l'instant nous avons trouvé deux documents des bonnets de couleur rouge. Le premier est cité dans un document de 1693 et cité par le mémorialiste Antoine Favé dans son étude sur « Le mobilier et le vêtement dans la classe rurale au 17e siècle » (BSAF 1890).

  • Hauts-de-chausse [4] (culottes) : 12, dont 10 de toile, un de berlinge [5] : 2 livres 15 sols, et un autre de drap violet : 5 livres 16 sols ;
  • Camisoles : 17, dont la plus grande partie de drap rouge ou bleu, et une de frise» : 43 sols ;
  • chemises : 18 ;
  • 6 paires de gamaches [6];
  • 3 paires de souliers ;
  • un manteau ;
  • 2 bonnets, l'un rouge, l'autre blanc ;
  • 2 chapeaux.

Le propriétaire de ces habits, Hervé Lizien, fils de Guillaume et de Jeanne Lamezec, naquit le 10 mai 1646, au Mélennec. Il se marie en 1657 Marie Lozac'h demeurant au village de Trégagué, en Briec. C'est un représentant de « cette classe rurale, en voie d'arriver, par une évolution lente et sûre, à la grande aisance et une certaine influence sociale ». Il savait certainement l'impact d'une hausse de taxe sur les papiers timbrés.

Le deuxième document est un document datant de 1739 pour la succession de Christophe Crédou de Kermoisan. Le libellé exact est « bonnets de grenade », à côté d'un bonnet vert et des bonnets de laine. Ce qui conforte dans l'idée que les bonnets rouges n'étaient pas tricotés comme aujourd'hui, mais faits d'un assemblage d'étoffes.

1 bonnet vert, 15 sous; la récolte de 2 journaux sous seigle, y compris le seigle d'écobue, vendue 126 livres, à la charge de laisser la paille emmeulée sur les lieux; la récolte de 1 journal d'avoine, 12 livres 5 sous; 3 bonnets de laine; 10 sous; 2 bonnets de grenade, 5 sous; 1 paire de guêtres de fil blanc, 8 sous;

Hervé Lizien et de Christophe Crédou (ou son père) ont-ils arboré leur bonnet rouge lors de la marche de juin 1675 vers le manoir de la Boissière ?

Documents de référence

Annotations

  1. 1,0 et 1,1 Gabelle, s.f. : taxe sur le sel ayant existé en France au Moyen Âge et jusqu'à la Révolution. Le principe général est le suivant : le sel fait l'objet d'un monopole royal. Il est entreposé dans des greniers à sel, où la population l'achète taxé et en toute petite quantité. La gabelle représente, à l'époque moderne, environ 6 % des revenus royaux. Six régions français sont exemptes de la gabelle, soit parce qu'ils en sont dispensés lors de leur réunion au royaume de France, soit parce que ce sont des régions maritimes : Artois, Flandre, Hainaut, Bretagne, Basse-Navarre, Béarn. Source : Wikipedia. [Terme] [Lexique]
  2. Camisole, s.f. : sorte de casaque à manches que les hommes portaient sur la chemise et sous le pourpoint ou la veste. Source : dictionnaire de l'Académie. [Terme] [Lexique]
  3. Les chiffres du nombre de participants au pillage du manoir de la Boissière varie : Laurent Le Quéau tantôt parle de 700 à 800 personnes, et ailleurs de 400-500.
  4. Haut-de-chausse, g.n.m. : correspond à notre pantalon, sauf qu'il ne descend guère en-dessous du genou. Son nom breton, braghès, bragou, est l'équivalent du mot gaulois braie. Les voyageurs venus en Bretagne étaient étonnés devant l'ampleur de ces « grandes braies », d'où l'expression bragou braz. À partir du 18e siècle, on l'appelle fréquemment culotte. Source : Jean Le Tallec. [Terme] [Lexique]
  5. Berlinge, s.f. : étoffe particulière courante en Cornouaille au 18e siècle, dont la chaîne est en fil de chanvre et la trame en laine (source : www.1789-1815.com). Dans beaucoup de fermes de la Cornouaille, on a l’habitude de faire quelques aunes de berlinge au bout des toiles de chanvre que les cultivateurs tissent eux-mêmes pour leur usage (Breiz-Izel, ou vie des Bretons de l’Armorique, par M. Alexandre Bouët, tome troisième, Paris 1844, p. 112) [Terme] [Lexique]
  6. Gamache, s.f. : guêtre, faite en étoffe ou en cuir, qui enveloppait le pied et la jambe jusqu'au genou. Source : TLFi. [Terme] [Lexique]



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Thème de l'article : Etude et transcriptions d'actes anciens Création : Novembre 2013    Màj : 11.08.2023