1844 - Placards réglementaires pour les cabarets gabéricois

De GrandTerrier

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Lettre de demande d'apposition de placards de lutte contre l'alcoolisme sous la forme d'un règlement de police des cabarets de la commune.

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Source : documents conservés aux Archives départementales du Finistère en Série O (administration et comptabilité communales, cote 2 O 792).

Autres documents : « Deux morts et un rescapé suite à ivresses prononcées, Le Quimpérois 1839 » ¤ 

Présentation

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Il s'agit précisément d'une lettre adressée le 18 octobre 1844 par le maire René Laurent [1] sollicitant la validation d'un règlement de police des débits de boisson dont le texte, sous la forme d'une affiche appelée à l'époque « placard » est joint.

En cette année 1844, il y a sur le territoire communal quinze établissements vendant des boissons alcoolisées, si l'on en croit le nombre de placards devant être « distribués à chaque caberetier ».

En 1836, pour 2025 habitants, neuf cabaretiers sont déclarés sous cette appellation dans le recensement officiel [2] : François Ascoët à Pen carn Lestonan, Laurent Douguet à Gadigou (route de Coray), Pierre Peron au Bourg, Jacques Calloc'h au Bourg, Hervé Auffret au Bourg, Yves Taboret au Bourg, Toussaint Caugant à Gars halec, Jean Caugant à Lenhesk et Yves Auffret à la Croix-Rouge. Mais les cabarets ou auberges supplémentaires sont très certainement aussi ouvertes dans d'autres commerces, à l'instar des forgerons ou des cordonniers, et ce dans les villages un peu excentrés comme Saint-André, St-Guénolé, Lostarguillec, Kerdévot [3].

En 1868, une enquête diligentée par le ministre de l'intérieur sur le développement de l'ivrognerie en France donne les chiffres suivants pour le département du Finistère : « Il y a dans le département 5806 débits de boissons, c'est à dire un pour 114 habitants [....] Pas une commune n'est exempte de ce fléau. Un homme sobre est une exception. Dans les classes élevées, on s'inquiète. Les propriétaires surtout qui voient leurs champs délaissés pour le cabaret ».

Pour ce qui concerne Ergué-Gabéric, le nombre de débits de boisson par rapport à la population est proche de cette moyenne nationale en 1836-1844, soit un café pour 135 habitants (15 pour 2025), bien que la population soit très rurale et éclatée sur tout le territoire communal.

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D'où la nécessité pour la municipalité de lutter contre les dérives des débits de boissons en rédigeant un règlement de police comme forme de placards ou affichettes à apposer dans ces lieux de perdition.

Après ces premiers affichages, la préfecture du finistère généralisera cette action préventive à tout le département en publiant des « arrêtés contre l'ivrognerie ». Ainsi cette affiche du préfet Richard [4] en 1859 (cf. ci-contre, ADF 4M68).

Mais autant le texte préfectoral est plutôt sommaire, la seule interdiction étant de servir jusqu'à l'ivresse, la version gabéricoise de 1844 est bien plus contraignante  :

  • Le premier article interdit carrément l'ouverture des bars pendant les messes, dimanches et jours de fête. Ces jours-là « Il est interdit à tous cabaretiers de cette commune, de donner à boire à qui que ce soit  ».
  • Sont exclus des établissements à toute heure, conformément à l'article 2, les enfants au-dessous de seize ans, « à moins qu'ils n'accompagnent leurs auteurs ou tuteurs », les vagabonds, les filles publiques et « les gens dans l'ivresse ».
  • Les horaires doivent être strictement respectés, surtout en soirée : ouverture après 4 heures du matin et fermeture avant 8 heures du soir (7 heures en hiver).
  • Les autres règles administratives sont de disposer « d'une enseigne distincte où son nom sera écrit en caractères bien lisibles » (article 4), de faire une déclaration à la mairie pour toute ouverture ou déménagement (article 5), de « débiter des boissons falsifiées » (article 6), et de respecter toutes les mesures légales (article 7).
  • Et enfin, un article 8 de politique familiale et de lutte contre l'alcoolisme : « Il est enjoint aux cabaretiers de livrer à la première réquisition des pères, mères et tuteurs les personnes réclamées par ces derniers. »

Documents


Lettre au préfet

Ergué-Gabéric, le 12 octobre 1844.

Monsieur le Préfet [5].

J'ai l'honneur de vous prier vouloir bien approuver le règlement ci-inclus, concernant la police sur les cabarets et si vous jugez convenable de m'otoriser (sic) de prendre de la caisse municipale la somme nécessaire pour faire 15 placards ou exemplaires pour être distribués une à chaque cabaretier.

Je suis avec un profond respect
Monsieur le préfet
Votre très humble serviteur

Laurent [1]

Placard

Mairie d'Ergué-Gabéric. Règlement de police

Nous maire de la commune d'Ergué-Gabéric

Vu les lois des 16-24 aout 1790, 12-22 juillet 1791, 18 novembre 1814 et celle de 18 juillet 1837.

Vu la circulaire de Mr le préfet du finistère [5] en date du 12 décembre 1843, insérée au bulletin administratif n. 808 concernant la police des cabarets ;

Considérant qu'il est du devoir de l'administration municipale de veiller à la morale publique et d'assurer la sécurité des citoyens ; que pour y parvenir, elle doit prendre toutes les mesures autorisées par les lois ;

Avons arrêté et arrêtons ce qui suit :

Art 1er. Il est interdit à tous cabaretiers de cette commune, de donner à boire à qui que ce soit pendant les offices divins, les dimanches et les jours de fêtes reconnues par la loi.

Art 2. Il est expressément défendu aux dits cabaretiers de recevoir dans leurs cabarets des enfants au-dessous de seize ans, à moins qu'ils n'accompagnent leurs auteurs ou tuteurs, comme aussi de donner à boire à des gens dans l'ivresse et d'admettre chez eux les vagabonds et les filles publiques.

Art 3. Du premier avril au 1er octobre les cabarets ne pourront être ouverts avant 4 heures du matin [6], et ils devront être évacués et fermés à 8 heures du soir. Du 1er octobre au 1er avril ils ne pourront également être évacués et fermés à 7 heures du soir. Sous aucun motif, ces heures ne pourront être avancées ni retardées.

Art 4. Tout cabaretier devra avoir à sa porte une enseigne distincte où son nom sera écrit en caractères bien lisibles.

Art 5. Toute personne qui voudrait tenir un cabaret ou changer de domicile sera tenue de faire préalablement sa déclaration à la mairie.

Art 6. Il est fait défense aux cabaretiers de vendre ou de débiter des boissons falsifiées.

Art 7. Il leur est ordonné en outre d'avoir au complet la série des mesures légales que comportent leurs débits.

Art 8. Il est enjoint aux cabaretiers de livrer à la première réquisition des pères, mères et tuteurs les personnes réclamées par ces derniers.

Art 9. Tout contrevenant au présent règlement sera poursuivi et déféré aux tribunaux.

En mairie à Ergué-Gabéric, le 27 mai 1844
Laurent [1]

Annotations

  1. 1,0 1,1 et 1,2 René Laurent de Squividan fut maire d'Ergué-Gabéric du 1824 à 1845.
  2. Cf. pages originales et dépouillement : « 1836 - Les 81 pages du recensement de la population ».
  3. À noter que dans le recensement de 1790 on trouve 3 ou 4 autres lieux-dits où il y avait des aubergistes : La Villeneuve (village disparu près de St-André), Gouléquéau (lieu-dit disparu sur la route de Coray, sans doute assimilable à Cadigou), Kerdévot et Lostarguillec.
  4. Charles-Victor-Louis Richard (1803-1888), né à Toulouse et décédé à Quimper, est préfet du Finistère de 1851 à 1868. Avant cette date il est conservateur des archives municipales de Rouen, puis sous-préfet à Châteaulin en 1848, à Morlaix en 1849. Il est nommé préfet honoraire et mis à la retraite en 1868.
  5. 5,0 et 5,1 Le baron Germain-Joseph Boullé, originaire de Pontivy, fut préfet du Finistère de 1836 à 1848.
  6. Les horaires d'ouvertures des débits de boisson étaient très matinales du fait des travaux dans les champs. Cf. l'affaire des élections de 1881 où l'ouverture tardive fut dénoncée : « Elections municipales houleuses et contestées, l'Impartial du Finistère 1881 ».



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Thème de l'article : Etude de documents anciens. Création : novembre 2006    Màj : 23.12.2023