1944 - Arrestation de la féministe Jeanne Le Pape, communiste et sympathisante FTP

De GrandTerrier

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L'arrestation à la Garenne-Colombes par la police française pendant l'occupation du militant FTP [1] Lucien Briffaut et ses supposés complices, dont Jeanne Le Pape, veuve d'Alain Le Corre, née et mariée à Ergué-Gabéric, militante de l'Union des Jeunes Filles de France, mouvement affilié au Parti Communiste.

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Biographie inscrite au dictionnaire ouvrier et social Le Maitron, et archives des Brigades Spéciales de la Préfecture de Police de la Seine.

Autres lectures : « Jeanne Le Pape, journalière féministe et militante communiste » ¤ « MAITRON Jean - Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et social » ¤ « Yvon Queinnec, engagé volontaire et communard condamné pour insurrection » ¤ « Jean et Francine Lazou, instituteurs de 1926 à 1950 » ¤ « 1919 - Les deux mariages des soeurs Le Bras » ¤ 

Présentation

On connaît aujourd'hui l'arrestation en 1943 du groupe Manouchian par la Brigade spéciale no 2 des Renseignements généraux de la police française. Ces jeunes francs-tireurs et partisans communistes ont fait partie de la branche MOI (Main-d'Ouvre Immigrée) de l'organisation FTP [1] et fusillés au Mont-Valérien. L’affiche rouge [2] ci-contre de propagande allemande a été placardée massivement en France sous l'Occupation pour dénigrer ces résistants communistes.

Jeanne Le Pape est arrêtée en 1944 par la même Brigade Spéciale. Elle est née le 5 septembre 1895 à Pennanec'h de parents journaliers agricoles [3]. Elle se marie en 1919 avec Alain Le Corré né en 1890 dans le village voisin de Quélennec.

À la lecture du compte-rendu de son interrogatoire par les Renseignements Généraux on apprend que :

  • Elle est domiciliée en 1937 à Saint-Denis en région parisienne « dans un logement au loyer annuel de 1.000 francs »
  • En 1941 son mari décède, et son fils né en 1920 « est en Allemagne » (sans doute dans un camp de prisonniers ou de STO).
  • Avant guerre, journalière de profession, elle travaille à la mégisserie [4] Floquet, spécialisée dans le tannage de cuirs à St-Denis, et est embauchée ensuite par les établissements Cams en août 1943.
  • Avant 1939 elle milite au sein de « l'Union des Jeunes Filles de France » [5], affiliée au Parti Communiste, pour défendre l'égalité des droits avec les hommes, aussi bien dans le domaine politique qu'économique.

Elle est arrêtée le 5 mai 1944 à l'occasion d'une rafle parmi les relations de Lucien Briffaut et Germaine Debail, deux membres actifs des FTP [1] qui préparent en région parisienne une action contre un officier de police : « Le 4 courant, un homme et une femme qui semblaient surveiller, rue de Nanterre à La Garenne, un immeuble habité par un inspecteur du Commissariat de Colombes, ont été appréhendés. ».

Au total 34 personnes sont arrêtées et chez certains de la documentation et une machine à écrire, ainsi que des armes, sont trouvées : «  3 pistolets, 3 grenades, 50 déto ..., 3 mitraillettes, 6 chargeurs ». Jeanne, appréhendée alors qu'elle rend visite à Germaine Debail apparaît dans la liste des « hébergeurs, agents de liaison et autres complices ». Elle se désolidarise de son amie qu'elle a connue chez Floquet avant guerre en invoquant une affaire de location de logement vacant : « Lorsque je voyais Debail, elle ne me parlait pas de son activité politique ; d'ailleurs je la voyais très rarement. ».

Les brigades spéciales (BS) de la préfecture de police de Paris spécialisées dans la traque aux « ennemis intérieurs », principalement communistes, prisonniers évadés ou réfractaires au STO, sont très organisées et très liées aux polices allemandes.

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Pour la rafle « Briffaut et autres » de mai 1944, la BS n° 2 a rédigé de nombreuses fiches et rapports d'opérations et d'interrogatoires dans lesquels transparaît l'éthique nazie. Notamment ce qualificatif de « race aryenne » indiqué systématiquement pour identifier les interpellés, y compris bien sûr Jeanne Le Pape.

Grâce au dossier d'interpellation, Jeanne Le Pape a désormais sa notice en tant que native d'Ergué-Gabéric dans « Le Maitron », le dictionnaire biographique des mouvements ouvriers et sociaux : « LE CORRÉ Jeanne, Marie, née LE PAPE. Née le 25.09.1895 à Ergué-Gabéric (Finistère), fille de journaliers, mariée dans sa commune natale le 29 juin 1919 avec Alain, Joseph Le Corré, mère d’un enfant, journalière à Saint-Denis (Seine), Jeanne Le Corré était l’une des animatrices de l’Union des comités de Femmes de l’Ile de France en 1939 ... ».

La courageuse féministe sortira de prison et connaîtra la Libération de Paris en août 1944. Elle décède à l'age de 79 ans le 6 mai 1975 à Argenteuil, près de Saint-Denis.

Transcriptions

Schéma de l'organisation

Renseignements

Briffaut 12.109 ------ Debail G. 12.116 ----- Vve Le Corre x s'est présentée chez Debail

Leguay dit "Trenoy" : documentation importante, 1 machine à écrire.

Poirier qui hébergeait Poisson  : 3 pistolets, 3 grenades, 50 déto ...

Poisson dit "Alsace" : 3 mitraillets, 6 chargeurs [...]


Rapport du 15 mars 1944

15 mars 1944

Le 4 courant, un homme et une femme qui semblaient surveiller, rue de Nanterre à La Garenne, un immeuble habité par un inspecteur du Commissariat de Colombes, ont été appréhendés.

Il s'agit des nommés :

- BRIFFAUT Lucien, né le 17 juillet 1902 à Paris (17ème), français, Aryen, marié, sans enfant, ajusteur sans travail, domicilié 40, rue de l'Isère à Houilles, mais réfugié 101, Allée du Nord à La Garenne-Colombes.

Ex-membre du Parti Communiste, arrêté le 15 mai 1942 pour infraction au Décret-loi du 26 septembre 1939, interné en septembre de la même année, BRIFFAUT a été libéré en juillet 1943.

Il a reconnu militer depuis août dernier dans l'organisation des F.T.P. [1] où sous le pseudonyme de VERTHE, Matricule 12.109, il était chargé de la responsabilité du service des renseignements.

Il a ainsi été amené à effectuer différentes surveillances à l'égard de fonctionnaires de la Police. Il communiquait par rapports le résultat de ses observations à une femme de son groupe en liaison avec un responsable de l'Inter Région. Cette femme nommée ROTH née ZELTER Annette, a été arrêtée au cours d'une affaire précédente. Elle répondait au pseudonyme de "FERNANDE".

- DEBAIL née PAVOT Germaine, Marie-Louise, le 23 avril 1913 à Reins (Marne), française, aryenne, mariée, un enfant, sans profession, domiciliée 11, rue Pierre Béguin à St-Denis (Seine).

Au cours de son interrogation, elle a reconnu militer sous le pseudonyme de "NICOLE" matricule 12.116 au service de renseignements des F.T.P. [1].

En compagnie de BRIFFAUT, elle a participé à différentes surveillances effectuées notamment à l'égard de fonctionnaires de la Police. Appointée par l'organisation, elle recevait mensuellement 2.600 francs.

La visite domiciliaire a amené la découverte de différents documents concernant notamment des demandes d'enquêtes sur des gardiens de la paix et des individus considérés comme suspects par les F.T.P. [1]. Ainsi qu'un plan et des annotations relatives à la Kommandantur de l'Avenue de l'Opéra à Paris.

[...]

Par ailleurs; il a été procédé à l'arrestation de plusieurs hébergeurs, agents de liaison et autres complices des précédents. Il s'agit des nommés :

- POIRIER Yvette [...]

- LE PAPE, Veuve LE CO(R)RE Jeanne, Marie, née le 5 septembre 1895 à Ergué-Gaberic (Finistère), française, aryenne, journalière, demeurant 14 boulevard Félix Faure à Saint-Denis.

[...]


Arrestation, 5 mars

Paris, le 5 mars 1944.

Les Inspecteurs A..., S... et T...,

À Monsieur le Commissaire Divisionnaire, Chef du Service,

Nous mettons à votre disposition la nommée

- Veuve LE CORRE née LE PAPE Jeanne, Marie, née le 5 septembre 1895 à Ergué-Gabéric (Finistère), de feu Jean Pierre et de Pennec Marie Jeanne, un enfant, de nationnalité française, race aryenne, journalière, demeurant 14, Bld Félix-Faure à Saint-Denis (Seine).

Arrêtée ce jour, vers 11 heures, au moment où elle se présentait chez Mme Debail, 11, rue Pierre-Béguin à Saint-Denis, précédemment arrêtée pour menées communo-terroristes.

Amenée au service et fouillée, elle n'a été trouvée porteur d'aucun objet ou document suspect.

Une visite domiciliaire effectuée en sa présence n'a amené la découverte d'aucun objet ou document suspect.

Elle est inconnue aux Archives de notre Direction ; à celles de la Police Judiciaire, elle possède un dossier, n° Y.169.238, pour vol en 1942

Son nom n'est pas noté aux Sommiers Judiciaires.

Mise à disposition, 5 mars

Mise à disposition de la nommée Vve LE CORRE et née LE PAPE, Jeanne.

L'an mil neuf cent quarante quatre, le cinq Mars, Nous P... G..., Continuant notre information

Constations que les Inspecteurs D..., S... et T... mettent à notre disposition la nommée :

- LE CORRE, née LE PAPE, Jeanne, Marie, née le 5 Septembre 1895 à Ergué-Gaberic (Finistère), de feu Jean-Pierre et de PENNEC Marie-Jeanne, veuve, un enfant, française, aryenne, journalière, demeurant 14, Bd Félix Faure à St-Denis (Seine).

Arrêtée ce jour, dans les circonstances énoncées au rapport ci-joint à St Denis, domicile de la nommée DEBAIL, dite "NICOLE", arrêtée précédemment alors qu'elle se trouvait en compagnie de BRIFFAUT.

Fouillée à notre service, par une personne de son sexe, la veuve LE CORRE, n'a été trouvée porteur d'aucun objet, ni document suspects.

La visite domiciliaire effectuée en sa présence constante et avec son consentement, dans les lieux qu'elle occupe, est demeurée sans résultat.

Elle est inconnue aux Archives Centrales de notre Direction.

Aux Archives de la Police Judiciaire, elle fait l'objet d"un dossier n° Y.169.238, pour vol, en 1942.

Son nom n'est pas noté aux Sommiers Judiciaires.

Nous procédons à son interrogatoire par acte subséquent.

Le Commissaire de Police.


Interrogatoire, 5 mars

Interrogatoire de la nommée LE PAPE veuve LE CORE

L'an mil neuf cent quarante-quatre, le cinq mars, Nous ... Continuant notre information

Faisons comparaître la nommée LE PAPE veuve LE CORRE, qui, interpellée, décline son état-civil et répond comme suit à nos questions.

Je me nomme LE PAPE veuve LE CORRE Jeanne, Marie, née le 5 septembre 1895 à Ergué-Gabéric (Finistère), de feu Jean Pierre et de Pennec Marie Jeanne ;

Je suis de nationalité française et de race aryenne ;

Je suis domiciliée 14, Bld Félix-Faure à St-Denis, depuis 1937, dans un logement au loyer annuel de 1.000 francs ;

Je suis journalière de profession et travaille aux établissements Cams à Saint-Denis, depuis août 1943, au salaire mensuel de 1.500 francs environ ;

Je me suis mariée en 1918 à Le Corré Alain, décédé en 1941, j'ai un fils de 24 ans, actuellement en Allemagne.

Je ne sais ni lire ni écrire ;

J'ai été condamnée une fois en 1942 à 4 mois de prison avec sursis pour vol.

Sur les faits -

Avant la guerre, j'appartenais à « l'Union des Femmes de France », affiliée au Parti Communiste, aux Etablissement Floquet à Saint-Denis ; je ne faisais pas d'autre politique.

J'ai connu la nommée Debail aux établissements Floquet à Saint-Denis, où je travaillais avec elle. Je ne sais si elle faisait de la politique ; je ne la voyais pas souvent à Saint-Denis, le logement de la mère de Debail, resté vacant depuis la mort de cette dernière, au mois d'août 1943, et que Debail voulait louer depuis un moment. Mme Cailliac, qui devait louer le logement, s'étant adressée à moi, j'avais pensé que le logement de la mère de Debail pourrait être libre. C'est pour cette raison que j'étais allée chez Mme Debail, afin de chercher la clef pour le logement.

Mme Cailliac m'accompagnait d'ailleurs. Je ne conaissais pas le logement, et c'était la première fois que j'y allais.

(signature Le Corre)

Lorsque je voyais Debail, elle ne me parlait pas de son activité politique ; d'ailleurs je la voyais très rarement.

Lecture faite, persiste et signe, Le Commissaire de Police

(signature Le Corre et cache ETAT FRANÇAIS)

Documents

Lieu de conservation :

  • Archives de la Préfecture de Police de la Seine.
  • Cote BS2/GB 124 et 131.

Usage, droit d'image :

  • Licence ouverte de réutilisation des données publiques.
  • Décret n° 2017-638 du 27 avril 2017.

Annotations

  1. 1,0 1,1 1,2 1,3 1,4 et 1,5 F.T.P., abrév. : francs-tireurs et partisans (FTP), également appelés Francs-tireurs et partisans français (FTPF), est le nom du mouvement de résistance intérieure française créé à la fin de 1941 par la direction du Parti communiste français (Wikipedia). La branche FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans - Main-d'œuvre immigrée) a été bien représentée en région parisienne où résidaient un grand nombre d'étrangers, notamment lors de l'affaire de l'affiche rouge du groupe Manouchian. [Terme] [Lexique]
  2. L’Affiche rouge est une affiche de propagande allemande placardée massivement en France sous l'Occupation, dans le contexte de la condamnation à mort de 23 membres des Francs-Tireurs et Partisans – Main-d'Œuvre Immigrée (FTP-MOI), résistants de la région parisienne, suivie de leur exécution, le 21 février 1944. Parmi ceux-ci il y avait le charismatique arménien Missak Manouchian. En 1955, à l'occasion de la cérémonie d'inauguration de la rue du Groupe-Manouchian dans le 20e arrondissement, Louis Aragon écrit le poème « Strophes pour se souvenir » qui sera mis en musique et chanté par Léo Ferré en 1959.
  3. Naissance - 25/09/1895 - Ergué-Gabéric (Pennanéac'h). LE PAPE Jeanne Marie, fille de Jean Pierre, Journalier , âgé de 29 ans et de Marie Jeanne PENNEC, Journalière , âgée de 24 ans, Témoins : Jean PENNANGUER 21 ans, cultivateur à SAINT EVARZEC et Michel BARRE 55 ans, journalier demeurant en cette commune. Mentions marginales : Mariage à ERGUE GABERIC le 29/06/1919 avec Alain Joseph LE CORRE. DCD à ARGENTEUIL (95) le 06/05/1975. Notes : Née à 6h du soir. Acte du 26/09. Jean PENNANGUER et Hervé LE ROUX, maire, signent. Acte complet : Image:1895NaissanceJeanneLePape.jpg.
  4. Mégisserie, s.f. : opération de tannage des peaux d'ovins et caprins destinées à l'industrie de la chaussure, de la ganterie ou de l'habillement, dans le cadre de la production du cuir (Wikepedia). [Terme] [Lexique]
  5. « L'Union des Jeunes Filles de France » présidée par Danielle Casanova est créée en 1936 au sein du Parti Communiste, jusqu'à la dissolution du Parti en 1939. L'Union des Femmes françaises (UFF) prendra le relais de la cause féministe en 1944, toujours à l'initiative du Parti Communiste, et deviendra ensuite le mouvement « Femmes solidaires »



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Thème de l'article : Fonds documentaires, pièces d'archives Création : janvier 2019    Màj : 25.02.2024