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« Devant, c'est déjà le charnier. Des hommes sont allongés, morts ou blessés, parmi les entonnoirs [2] de bombes, les chevaux de frise [3] et les obstacles antichars. Il y a, pêle-mêle, unis à leurs camarades anglais, plusieurs compatriotes, les uns geignant, les autres figés dans des positions inattendues. »
| Livre réédité en 1983 chez France Empire sous le titre « Commando de la France Libre. 6 juin 1944 » avec la préface supplémentaire de Jean Marin, puis en 1994 « J'ai débarqué le 6 juin 1944. Commando de la France Libre » aux éditions Le Cherche Midi, dans la collection Documents.
Le général de brigade Lord Lowat est resté en lien avec Gwenn-Aël Bolloré après guerre et a rédigé la toute première préface du livre qu'il termine par ses mots : « Nothing could have stopped Kieffer's men that day ... Down the arches of years I salute them ! » (Rien n'aurait pu arrêter les hommes de Kieffer ce jour-là ... Par-delà la voûte des années, je les salue !).
Autres lectures : « Gwenn-Aël Bolloré (1925-2001), écrivain-poète et PDG » ¤ « Gwenn-Aël Bolloré, 25 ans après, sur la plage du débarquement du 6 juin 1944 » ¤ « BOLLORÉ Gwenn-Aël - Né gosse de riche » ¤ « ESPERN André - Gwenn-Aël Bolloré, l'homme crabe » ¤ « GUILLAMOT Loeiz - Gwenn-Aël Bolloré » ¤ « CHANTREL Maette - Les crabes de l'Odet, un musée pas comme les autres » ¤
En 1940 il a 14 ans, sous l'occupation allemande, et 3 ans plus tard dans l'âge encore adolescent il quittera Odet pour traverser la Manche sur un "vieux bateau pourri", le S'ils te mordent. Le 6 juin 1944 il fera le trajet inverse pour débarquer avec le commando Kieffer [4] sur les plages normandes, à Oustreham. Voici comment Gwenn-Aël raconte page 59 et suivantes son départ d'Odet :
Tout d'abord organiser notre voyage du lendemain matin jusqu'à Brest. Un train s'y rendait. Mais il fallait auparavant gagner la gare de Quimper.
Nous voici tous les deux [5] , dans la nuit, sous une pluie battante. Sizorn, le garde-chasse, habite à un kilomètre dans la campagne. Il pourra sûrement nous dépanner.
Trempés, nous frappons à sa porte. Il est plus de dix heures et tous, dans la campagne, dorment. Enfin, un rais de lumière : une clé grince dans la serrure et voici Sizorn, en pyjama, et tout étonné de nous voir.
Vite, nous rentrons. Une bouteille de lambic [6] sort prestement du dessous d'un meuble.
Sizorn ne cille pas pendant mon exposé. Il se trouvera demain matin à 8 heures devant la maison avec une voiture à cheval. Il promet de ne rien dire, de feindre de ne nous avoir jamais vus. Je sais que je puis placer toute confiance en lui. Voici donc une affaire réglée.
§ Maintenant, il faut boucler les bagages ...
Maintenant, il faut boucler les bagages. Mais la place restera limitée. Nous avons droit à une valise de petite taille, enfermant un costume de rechange, quelques chemises, un chandail, des chaussettes, etc. Nous préparons trois magnums de lambic, car il fera froid en Manche.
Enfin, travail plus émouvant : j'écris une lettre destinée à ma mère. Je lui annonce mon départ, j'en expose les raisons ; je lui communique l'indicatif signalant notre arrivée : A cœur vaillant il n'est rien d'impossible". Et je l'embrasse.
Il importe de s'occuper de l'argent destiné à payer le bateau. Là se place une anecdote que je juge aujourd'hui plaisante, mais qui faillit, à l'époque, remettre le voyage en question.
Pour réunir la somme nécessaire, soit quarante mille francs, ce qui constituait, en 1943, une grosse somme, pour un jeune de dix-sept ans, j'avais chargé Louis Garin de vendre (en cachette) mon cheval - animal très recherché à l'époque. La liasse de billets devait être dissimulée sous mon lit. Si l'ami Louis remplit avec succès la première partie de sa mission, il estima que la cachette indiquée manquait de sûreté et il déposa l'argent dans le coffre de l'usine, dont son père assumait la direction.
Je passais donc une partie de la nuit à chercher "mon trésor" et dormit fort mal. Le lendemain, vers huit heures, un coup de téléphone de Garin me rassura. Il restait quelques minutes pour ne pas rater le train.
Cet imprévu engendra de fâcheuses conséquences pour nous. Si le père de Garin, bien qu'étonné, accepta de me remettre la somme en question à cette heure matinale, les minutes comptaient et j'avais prétexté un rendez-vous avec un maquignon de l'endroit pour acheter une nouvelle jument. Il ne m'était plus possible, sans éveiller ses soupçons, de lui demander les quelque dix ou quinze mille francs qui nous auraient servi d'"argent de poche" en Angleterre [7] . L'important était de partir. Joyeusement, nous fîmes nos adieux à Sizorn.
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Quant au débarquement du 6 juin 1944, voici le récit de celui qui était inscrit sous le nom de code Bollinger dans la liste d'appel du commando n° 4 du Bataillon des Fusiliers Marins du commandant Kieffer, page 129 et suivantes : « Serrer les dents et arriver ... Arriver ... La plage. Le sol semble monter, c'est bon signe. Soudain, une gerbe liquide à peine à un mètre : peut-être un obus de mortier. Heureusement, l'eau atténue les éclats ... Serrer les dents ... Voici la grève. »
Notre bateau a repris sa route. Seule, sa vitesse a pu nous l'apprendre, car le bruit des moteurs se trouve comme gommé.
Nous fonçons vers la côte, laissant derrière nous le gros de la flotte.
Les batteries allemandes, brusquement éveillées, commencent à donner la réplique. Çà et là des gerbes d'eau nous encadrent. Elles sont grises et ternes. Pas la moindre gouttelette lumineuse, tant les fines retombées de poudre ont imprégné la mer.
À gauche, le casino de Ouistreham, avec ses lance-flammes rougeoyants ; droit devant, un petit château rococo qui doit nous servir d'amer [8] .
Quelques encablures encore, et nous allons échouer.
Les barges de nos camarades anglais nous laissent prendre plusieurs mètres d'avance. Ainsi l'a voulu le colonel Dawson [9] . Les Français seront les premiers.
« - Thank you, Sir ! »
Nous apprécions le geste.
Massés sur le pont, nous attendons, près à bondir. Maurice Chauvet, agent de liaison, apporte une note surréaliste au spectacle en prodiguant tous ses soins à une curieuse bicyclette pliable qui n'eût pas déparé le premier Tour de France.
Enfin, c'est un choc mou et la barge s'immobilise, à quelque cent mètres de la grève. Les marins, rapides, précis, efficaces, déploient de chaque côté de la proue deux passerelles. Quelques-uns d'entre eux sont blessés. Ils se taisent, allongés calmement, ne réclamant aucun secours tant ils gardent conscience que rien ne doit perturber, ne serait-ce que quelques secondes, le délicat mécanisme de l'action qui va suivre.
C'est alors la descente des hommes, sous le poids écrasant des havresacs.
L'ennemi ajuste son tir. Bientôt, nos passerelles sont emportés par un tir d'obus. Sous l'étrave, parmi les débris de bois, des hommes blessés se noient. L'eau qui emplit leur bouche les empêche d'appeler au secours.
Objectif numéro un : débarquer les troupes dans un minimum de temps.
L'hélice bat en arrière et nous accostons l'autre barge. Par elle et par ses passerelles intactes, nous accédons à la mer.
De l'eau jusqu'à la poitrine, quarante kilos sur le dos, les armes tenues au-dessus de la tête, les cent premiers mètres nous séparant de la plage sont couverts avec lenteur tant il est difficile de se mouvoir en hâte dans l'élément liquide.
Çà et là, un camarade tombe, frappé d'une balle de mitrailleuse, d'un éclat d'obus, d'une bombe de mortier.
Serrer les dents et arriver ... Arriver ... La plage. Le sol semble monter, c'est bon signe.
Soudain, une gerbe liquide à peine à un mètre : peut-être un obus de mortier. Heureusement, l'eau atténue les éclats ... Serrer les dents ...
Voici la grève.
§ Chose curieuse, peu d'entre nous conserveront le souvenir ...
Chose curieuse, peu d'entre nous conserveront le souvenir d'avoir été mouillés pendant ce bain inusité.
Derrière, les barges sont reparties à toute vitesse, pour prendre d'autres troupes. Devant, c'est déjà le charnier. Des hommes sont allongées, morts ou blessés, parmi les entonnoirs de bombes, les chevaux de frise et les obstacles antichars. Il y a, pêle-mêle, unis à leurs camarades anglais, plusieurs compatriotes, les uns geignant, les autres figés dans des positions inattendues.
Plus tard j'apprendrai leurs noms : ce sont les lieutenants Vourch et Pinelli, les commandos Dumanoir, Laventure, Lahouze, Casalonga, Leostic, Cabellan, Piaugé, Flesh, Beux, Rousseau, Bucher.
* * *
Les instructions sont formelles : ne pas s'occuper des blessés sur la plage et suivre la vague d'assaut.
Au faîte de la dune, un rouleau de fil de fer barbelé, pareil à une couronne d'épines coiffant le front de notre pays crucifié, en interdit l'accès. Armé d'une pince, calme et précis, Thubé s'applique à y pratiquer une brèche. Il reste apparemment insensible à ce qui l'entoure.
Tout près de lui, j'aperçois le commandant Kieffer, étendu et blessé. Juste le temps, en attendant que Thubé ait fini son travail, de m'en occuper. Un coup de ciseau dans le pantalon de son battle dress et je vois qu'il s'agit d'un éclat dans la cuisse. Un pansement, une piqûre de morphine ...
Bonne chance, commandant !
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