L'histoire de Péric de Jean-Marie Déguignet racontée par Marie-Christine Huet

De GrandTerrier
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Aujourd’hui à la retraite, ancienne animatrice socioculturelle à la Maison pour tous, puis, à l’origine, en 1981, de la première bibliothèque de la ville, raconte en 2021 la fabuleuse histoire de Péric.

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Vidéo publiée sur la site Facebook du Centre culturel L’Athéna.

Autres lectures : « DÉGUIGNET Jean-Marie - Contes et légendes de Basse-Cornouaille » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ « Rêveries d'un potier solitaire par Loïc Pichon » ¤ « CORRIOL Benoit - François Marie » ¤ 

Présentation



Vidéo

Enregistré le dimanche 16 mai à 18h au Centre Culturel L'Athéna d'Ergué-Gabéric.

Texte de référence

Histoire de ma vie, Intégrale des Mémoires d'un paysan breton, pages 63-67

Folios du cahier 59-73 : [p. 59]

Maintenant je vais rapporter un de ces contes où le paysan se trouve en lutte avec le seigneur, et dans lesquels le seigneur est toujours roulé bien entendu. Je vais prendre le premier venu dans ce genre. Ces contes se ressemblent tous du reste, ce sont des farces, des tours joués aux seigneurs par les paysans.

Il y avait une fois un petit gars nommé Péric, qui n’avait jamais connu ni père ni mère. Il avait été élevé par un oncle qui exerçait le métier de braconnier ou mieux, de voleur. Péric, ayant atteint un certain âge, suivait son oncle dans ses tournées et avait ainsi appris le métier de bonne heure. Lorsqu’il se crut assez malin, il voulut opérer seul et, pour être plus sûr, il se bâtit une cabane loin des regards indiscrets.

Non loin de là il y avait un grand seigneur qui possédait d’immenses richesses, comme du reste tous les seigneurs de ce temps. Ce seigneur, sachant qu’il y avait des braconniers et des voleurs autour de lui, se faisait garder par un régiment de serviteurs dévoués et vigilants. Il y avait là un gibet auquel on voyait toujours des corps ou des squelettes se balançant au vent au plus grand bonheur des corbeaux. Péric connaissait bien ce seigneur, ses gens, et son gibet ; il se disait même qu’on pourrait bien un jour voir son corps se balancer à ce gibet. N’importe, il criait qu’il voie si ce seigneur avec tous ses gardiens serait plus malin que lui. Il savait qu’il avait un grand troupeau de bœufs, des bœufs les plus beaux d’une très grande valeur marchande. Mais ces bœufs comme tout le reste étaient bien gardés, jour et nuit, Péric le savait. Mais il savait aussi que les serviteurs et gardiens avaient tant par tête de braconnier ou voleur qu’ils prenaient.

Un jour, voyant ces beaux bœufs dans un champ un peu éloigné du château, il alla doucement vers les gardiens avec un doigt sur le nez, signe de secret et de silence. Les gardiens avaient compris et lui demandèrent :

- Hé ! jeune ami, tu as vu quelque chose par là hein ?

- certainement, répondit Péric, il y a quelque (chose), il y a un bon coup à faire là pour vous. Ils sont quatre voleurs, là dans le bas-fond, avec des cordes pour venir enlever partie de vos beaux bœufs. Si vous voulez les pincer vous n’avez qu’à descendre en deux groupes, moitié à droite, moitié à gauche, vous êtes sûrs de les prendre ; ils sont en train de manger tranquillement là-bas en ce moment.

- Merci ami, dirent les gardiens, nous y allons de suite, fais attention aux bœufs en attendant, tu auras ta part de la prise.

- Soyez tranquilles, dit Péric, vous pouvez compter sur moi. » Mais dès que les gardiens furent hors les champs et hors de vue, Péric tira de dans son sarrau des cordes et commença à harnacher les quatre plus belles paires de bœufs qu’il y avait là puis les attachant à la queue leu leu, il fila avec. Ces vieux bœufs, doux comme des moutons se laissaient faire facilement, et Péric n’eut pas grande peine de les conduire où il voulait. Les gardiens cherchèrent longtemps les quatre voleurs et lorsqu’ils revinrent au champ, Péric était déjà loin avec ses bœufs. Ils ne firent pas d’abord attention à la disparition du jeune homme ni aux bœufs. Parmi un si grand troupeau quatre paires de bœufs en plus ou moins ne paraissaient guère. Pour tant qu’au jeune homme, ils pensèrent que, fatigué de les attendre, il était retourné chez lui.

Ce ne fut donc que le lendemain quand le seigneur vint compter le troupeau que l’on s’aperçut qu’il manquait huit bœufs et des meilleurs. Les gardiens, se croyant perdus, déclarèrent franchement ce qui s’était passé. Le seigneur leur dit qu’ils s’étaient laissés bêtement rouler par ce jeune homme ! mais puisque c’était par zèle pour lui qu’ils avaient agi ainsi, il leur pardonnait pour cette fois, en leur faisant entendre qu’ils venaient de recevoir une bonne leçon pratique. Pendant ce temps Péric avait vendu ses bœufs un bon prix et revint dans sa cabane où il avait une cachette spéciale pour mettre son trésor.

Son premier coup ayant si bien réussi, Péric se mit à méditer un second. Si le seigneur avait de beaux bœufs, Ses chevaux étaient encore plus beaux et d’une plus grande valeur. Mais comment approcher de ces chevaux dont chacun était gardé et soigné par un solide garçon ! Péric ne chercha pas longtemps. Il savait comment les méchants malins opéraient alors dans les foires : au moyen d’un ou deux taons renfermés dans une boîte, et lâchés à propos au milieu des bestiaux mettant tous ceux-ci en fureur et s’en allant par les rues et places bousculant et renversant tout sur leur passage. Les malins profitaient de ce désordre pour voler. Ces paniques, attribuées par les paysans à. la sorcellerie, se produisent encore de nos jours dans les foires de Basse-Bretagne.

Péric ramassa une pleine boîte de ces taons et alla en cachette les lâcher dans le champ où étaient les bœufs. Ceux-ci au bruit dc ces terribles mouches et aux premières piqûres qu’ils sentirent dressèrent la queue et commencèrent à trépigner. Mais bientôt tout le troupeau fut saisi d’une telle panique qu’il se mit à fuir de tous côtés, renversant les gardiens et tous les obstacles qu’il rencontrait sur son passage. De son château le seigneur voyait cet épouvantable spectacle. Il cria à tous les serviteurs d’aller à l’aide des bouviers pour arrêter ces bœufs affolés, puis fit fermer solidement les portes du château, de peur que ces bêtes furieuses éventrassent et brisassent tout chez lui. Mais ces bœufs furieux, que les taons labouraient toujours, trouvant toutes portes closes au château, le dépassèrent et continuèrent leur course furibonde. Les serviteurs avaient beau crier et appeler, rien ne faisait. Pendant ce temps Péric avait gagné les écuries où étaient les beaux chevaux. Tous ces chevaux étaient sellés ; il en choisit dix des meilleurs, en retira les selles qu’il plaça sur des chevalets, ct mit ces chevalets à la place des chevaux qu’il avait retiré de leurs stalles ; puis les attachant à la queue l’un de l’autre comme font les marchands de chevaux, il s’en alla tranquillement avec eux sans être inquiété par rien, ni par personne. Les serviteurs ne parvinrent à arrêter les bœufs qu’à la nuit, lorsque les terribles mouches assez gorgées de sang cessèrent de les piquer. Ces serviteurs étaient tous plus ou moins éclopés et éreintés, néanmoins les garçons d’écrire allègent soigner leurs chevaux. Après avoir servi à ceux-ci leur ration ordinaire, ils montèrent en selle comme d’habitude, car le seigneur exigeait que les garçons passassent la nuit en selle pour plus de sécurité contre les voleurs. Le lendemain, quand le seigneur alla visiter ses chevaux, il trouva bien tous les garçons, mais il s’aperçut bien vite que plusieurs étaient en selle sur de simples chevalets. De suite, il comprit qu’il avait été encore joué par les malins voleurs. Il ne pouvait pas s’en prendre à ses garçons puisqu’il les avait lui-même distraits de leur service. Mais d’où diable venaient-ils donc ces voleurs si malins et si rusés ? Pas moyen de le savoir.

Cependant Péric avait encore tiré une bonne somme d’argent de ses chevaux pour augmenter son trésor. Et puisqu’il voyait qu’il était si facile à rouler ce grand seigneur, il prépara encore un coup plus audacieux. Cette fois il songea à pénétrer dans le château même. À cet effet, il confectionna un certain nombre de mannequins coiffés de larges chapeaux, figurant des voleurs. Il alla les placer dans un bois un peu éloigné mais visible du château, maintenant que le seigneur, rendu méfiant et inquiet de ces vols audacieux, était toujours aux aguets. De sa croisée, il aperçut les voleurs dans le bois.

« Vite, cria-t-il, tout le monde debout ! Aux armes ! Voici les voleurs qui arrivent ! » Il prend lui-même son fusil et descend. Tous les serviteurs étaient déjà prêts. « Allons leur dit-il, en avant, nous allons cerner le bois. Ah ! Les gueux ! Tout à l’heure nous allonge les faire danser. » Et il divisa sa troupe en deux parties pour former le cercle autour du bois. Lorsqu’ils arrivèrent à portée de fusil, ils commencèrent à tirer sur les mannequins qui ne bougèrent pas. « Pour sûr, disait le seigneur, ces voleurs sont cuirassés. Tirez toujours, S’ils ne tombent pas, nous les prendrons autrement. » Et les gens continuaient à tirer.

Pendant ce temps Péric était entré au château complètement vide maintenant, car les dames elles-mêmes avaient suivi l’année pour assister à la prise des voleurs. Il parcourut le château, fouillant partout, ramassant des pierreries, des diamants et tous les objets de grande valeur qu’il pouvait emporter, puis avant de partir il fit un mannequin qu’il pendit au milieu du grand salon. Cependant le seigneur voyant que les brigands ne bougeaient pas et voyant que les munitions allaient manquer, ordonna de charger sur eux.

« Oh ! mais ma Doue beniguet ! [1]» Quelle stupéfaction ! quelle déception ! quand il vit que ce n’était que des bonshommes en paille. N’importe, sa colère fut telle qu’il commanda à ses hommes de déchirer en mille morceaux ces pauvres mannequins silencieux et impassibles. Mais ce fut bien pire lorsqu’il entra chez lui, de voir son château dévalisé de tout ce qu’il y avait de plus riche et de plus précieux, et de voir encore pour se moquer de lui le mannequin pendu au milieu du salon. Il y avait vraiment de quoi à en perdre la boule. Et comment se venger : sur qui ? sur quoi ? « Tonnerre de Brest ! dit-il, un jour on finira par voler mes draps de là de dessous moi. » Il faut croire que ces propos arrivèrent jusqu’à Péric, on ne sait comment ; car bientôt il songea en effet à tenter ce coup incroyable. À cet effet, il se rendit la nuit au château, lorsqu’il savait tout le monde couché. Il emportait avec lui un mannequin. La chambre du seigneur et de sa dame donnait sur un fournil. Péric dressa une échelle près de la croisée, et il monta à la clarté d’une petite veilleuse ; il vit que le seigneur et la dame dormaient. Alors d’un coup de poing, il envoie un carreau dans la chambre avec un bruit sinistre. Le seigneur fut réveillé brusquement, et voyant un carreau brisé et une figure d’homme devant la croisée, il saute sur son fusil et le décharge à bout portant sur la tête de cet audacieux voleur. Aussitôt Péric laisse tomber le mannequin sur lequel le seigneur avait tiré, et descendant rapidement l’échelle alla jeter ce mannequin dans un coutil plus loin parmi les ronces et les épines puis revint se cacher dans un coin près du château.

Annotations

  1. « Ma doue benniget ! » : « Mon Dieu béni ! » (expression bretonne usuelle).
  2. « A ! itron Varia al laeron » : « ah, Notre-Dame des voleurs ».



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Thème de l'article : Video sur la mémoire et l'histoire d'Ergué-Gabéric Création : mars 2024    Màj : 7.03.2024
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