Interdiction du bal des poilus et intransigeance du recteur Pennec, Le Finistère 1919

De GrandTerrier

JournalVendeur.png

À propos des désaccords patriotiques entre les républicains et le recteur d'Ergué-Gabéric, ce dernier mettant en balance sa présence pour la bénédiction contre l'annulation du bal au bourg.

JournalLeFinistère.jpg

Merci à Jean-François Douguet [1] d'avoir documenté cet entre-filet républicain dans son livre sur la Grande Guerre et à Pierrick Chuto [2] pour avoir mis cet épisode local dans le contexte de l'opposition "blancs - rouges" très marquée dans notre région cornouaillaise pendant toute la IIIe République.

Autres lectures : « Louis Pennec, recteur (1914-1938) » ¤ « Le livre d'or gabéricois de la Grande Guerre, Le Progrès du Finistère 1915 » ¤ « DOUGUET Jean-François - Ergué-Gabéric dans la Grande Guerre T1 » ¤ 

Présentation

Cet article du Finistère [3] rend compte du conflit entre les républicains voulant célébrer une fête commémorative de la Grande Guerre dans l'esprit de l'Union sacrée et le recteur Louis Pennec qui fait interdire le bal au nom de la morale chrétienne.

L'Union sacrée est le nom donné au mouvement de rapprochement politique qui a soudé les Français de toutes tendances politiques ou religieuses lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, et qui est ici mis à mal par les positions antagoniques des clans laîcs et catholiques.

Cette cérémonie patriotique eut lieu le dimanche 9 novembre 1919 à Ergué-Gabéric : « une fête des Poilus organisés par les démobilisés de la commune. Fête réussie en tous points ... ». Sauf le bal qui était prévu pour combler « leur désir d'être à la joie ce jour-là ».

En fait les organisateurs demandent naïvement au recteur de venir procéder à une cérémonie religieuse en l'honneur des disparus. Et sa réponse est cinglante : « Le service religieux ne sera célébré qu'à la condition que le bal n'eût pas lieu »

Le "doux" [4] recteur va « jusqu'à juger de façon très inconvenante les paroissiennes qui assisteraient au bal ». La formulation est assez volontairement ambiguë pour que le terme d'inconvenance puisse s'appliquer aussi bien au recteur, aux paroissiennes dévergondés ou au bal lui-même.

Le journal républicain remarque en conclusion que le recteur aurait pu être plus flexible du fait que ses trois vicaires [5] ont été mobilisés, et sous-entend en quelque sorte que son intransigeance est due au fait que lui-même personnellement n'a pas connu le front.

Et le final est sibyllin : « Singulière façon de perpétuer l'union sacrée cimentée au front ! Insister serait cruel ...  »

Louis Pennec avec sa mosette [6] sur les épaules

Coupure de presse

Transcription :

Ergué-Gabéric.

L'Union sacrée. - Dimanche dernier avait lieu une fête des Poilus organisés par les démobilisés de la commune.

Fête réussie en tous points, sauf au point de vue ... religieux, grâce à l'intransigeance du recteur de l'endroit.

Les organisateurs de la fête avaient, en effet, décidé de donner un bal le soir.

Néanmoins, malgré leur désir d'être à la joie ce jour-là, ils avaient songé à leurs camarades disparus et s'étaient adressés dans ce but à M. le recteur d'Ergué-Gabéric pour qu'il célébrât un service religieux à leur intention.

Hélas ! grande fut leur déception quand on leur répondit que ledit service religieux ne serait célébré qu'à la condition que le bal n'eût pas lieu.

Démarches sur démarches furent entreprises près du doux pasteur, mais rien n'y fit et il se laissa même aller jusqu'à juger de façon très inconvenante les paroissiennes qui assisteraient au bal.

Le conflit ne peut donc être solutionné et c'est ainsi que les Poilus d'Ergué-Gabéric et les familles des héros disparus ne purent rendre à ceux-ci l'hommage de piété reconnaissante qu'ils voulaient leur témoigner.

Ajoutons que trois vicaires d'Ergué-Gabéric ont été mobilisés. Singulière façon de perpétuer l'union sacrée cimentée au front !

Insister serait cruel ...

édition du 25 septembre 1919

Annotations

  1. Jean-François Douguet, historien et auteur de nombreux ouvrages sur la Cornouaille :
    .
  2. Pierrick Chuto, passionné d'histoire régionale, auteur de nombreux articles (Le Lien du CGF, La Gazette d'Histoire-Genealogie.com ... ) et de livres sur les pays de Quimper et du Pays bigouden. Tous ces livres sont disponibles sur http://www.chuto.fr (paiement CB possible) ou en librairie. [Ses publications]

    Livre paru en 2010 : « Le maître de Guengat, "Mestr Gwengad" » (Auguste Chuto né en 1808, propriétaire-cultivateur, meunier et maire). « La terre aux sabots, "Douar ar boutoù-koad" » (Louis-Marie Thomas cultivateur à Plonéis en Basse-Bretagne de 1788 à 1840) est publié en mars 2012. « Les exposés de Creac'h-Euzen - Les enfants trouvés de l'hospice de Quimper au 19e siècle » (le tour de l’hospice civil et les 3816 enfants exposés entre 1803 et 1861, réédité et enrichi en 2019) est sorti en octobre 2013 et réédité fin 2019. « IIIe République et Taolennoù, tome I, 1ère époque 1880-1905 » (l'histoire d'Auguste Chuto prédicateur de Penhars) en février 2016. Le tome 2 de la confrontation des Cléricaux et des laïcs en Cornouaille, « Auguste, un blanc contre les diables rouges (1906-1925) » sort en 2018, et en 2019 c'est le pays bigouden qui est à l'honneur : « Du REUZ en Bigoudénie, Blancs de Plobannalec et Rouges de Lesconil (1892-1938) ». En 2021 : « Bien-aimée Marie-Anne » (belles lettres d'amour de son arrière-grand-père à sa promise). En 2023 : « L'évêque et les danses Kof ha Kof » (l’évêque de Quimper et de Léon de 1908 à 1946 en lutte contre les danses "ventre à ventre").
  3. Le Finistère : journal politique républicain fondé en 1872 par Louis Hémon, bi-hebdomadaire, puis hebdomadaire avec quelques articles en breton. Louis Hémon est un homme politique français né le 21 février 1844 à Quimper (Finistère) et décédé le 4 mars 1914 à Paris. Fils d'un professeur du collège de Quimper, il devient avocat et se lance dans la politique. Battu aux élections de 1871, il est élu député républicain du Finistère, dans l'arrondissement de Quimper, en 1876. Il est constamment réélu, sauf en 1885, où le scrutin de liste lui est fatal, la liste républicaine n'ayant eu aucun élu dans le Finistère. En 1912, il est élu sénateur et meurt en fonctions en 1914.
  4. Nécrologie du "bon M. Pennec" dans la Semaine Religieuse de 1943 : «en 1914, recteur à Ergué-Gabéric, et c'est là, qu'en 1935, à l'occasion de ses noces d'or, Monseigneur l'Evêque voulut récompenser sa prudence, sa charité, sa douceur et son zèle sacerdotal en lui conférant la mosette de doyen honoraire ! ». Ou comment le zèle et la douceur peuvent cohabiter au sein d'une même personne !
  5. Jean-François Douguet donne page 77 les noms des trois vicaires (Corentin Breton, Théophile Madec, François Le Gall) dans un extrait d'interview dans le journal paroissial : « Les vicaires ne tardèrent pas à être mobilisés et le recteur dût seul assurer le service de la paroisse. Monsieur Breton, mobilisé à Quimper, peut quelquefois rendre service pour le ministère dans la paroisse. Monsieur Le Gall, après avoir été réformé, fut successivement auxiliaire à Fouesnant, à Edern, à Morlaix. Monsieur Madec put rarement aider au service de la paroisse en raison de ses obligations militaires. Le bedeau lui-même fut quelquefois mobilisé. »
  6. Mosette, s.f. : (ou mozette) petit manteau couvrant les épaules jusqu'à la ceinture porté par certains dignitaires ecclésiastiques dans la religion catholique (TLFi). [Terme] [Lexique]



Tamponsmall2.jpg
Thème de l'article : Coupures de presse relatant l'histoire et la mémoire d'Ergué-Gabéric Création : Septembre 2015    Màj : 10.10.2023