La libération d'un missionnaire au royaume d'Annam, journaux de bord de l'Alcmène 1845

De GrandTerrier

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Un évènement historique observé par deux marins, le chirurgien breton Jean-René Bolloré et le commandant Fornier-Duplan, tous deux sur la corvette à voiles l'Alcmène, en campagne militaire dans un royaume qui allait ensuite devenir un protectorat français après une période de guerre.

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Le breton note avec émerveillement tout ce qu'il voit, les protagonistes de la libération, et également les lieux sacrés environnants : « la plus belle de toutes les pagodes, la 7e des merveilles ... une petite chapelle consacrée à une déesse, ... on ne pouvait mieux la comparer qu'à la Ste Vierge qu'on voit dans nos campagnes bretonnes, parée et habillée dans une belle niche, les jours de pardons ».

Autres lectures : « BOLLORÉ Jean-René - Voyages en Chine et autres lieux‎ » ¤ « Jean-René Bolloré (1818-1881), chirurgien et entrepreneur » ¤ 

Présentation

Le journal de bord du commandant de l'Alcmène a été publié en 1907-1908 dans les tomes 29 et 30 du Bulletin de la Société de Géographie de Rochefort. Celui du chirurgien Bolloré a été édité en 1979 par son arrière petit-fils Gwenn-Aël et la Société Finistérienne d'Histoire et d'Archéologie.

Les deux journaux sont complémentaires et permettent de comprendre la situation historique de ce pays du Vietnam, nommé à l'époque Cochinchine, en incluant sa partie Nord en pays d'Annam où réside son empereur de la dynastie Nguyen.

Le journal du commandant Fornier-Duplan contient notamment les lettres officielles échangées entre les autorités cochinchinoises et françaises., On y trouve aussi le rôle de la corvette, où le jeune chirurgien-major Bolloré de 28 ans est dit de 2e classe (lors de sa première affection en 1839 il était chirurgien de 3e classe).

p. 294 du tome 29, 1907

Le journal de J.-R. Bolloré est plus descriptif que celui du capitaine, des notes manuscrites rédigées plus tard ayant été manifestement ajoutées lors de la publication. Il développe notamment les origines de la présence missionnaire en Cochinchine, et propose une leçon d'histoire et de généalogie de la dynastie des empereurs : « Migues-Man [1], fils illégitime de Gya-Long [2], monta alors sur le trône. Dès lors, la puissance des Français tomba en décadence. »

Le chirurgien est également attentif aux coutumes locales et à la beauté des lieux, notamment les 5 montagnes de marbre de Da Nang / Tourane [3] avec ses magnifiques pagodes bouddhistes. C'est un véritable guide touristique qui pourraient intéresser les touristes d'aujourd'hui : « Le hasard encore nous servit à souhaits, car nous vîmes la plus belle de toutes les pagodes, la 7e des merveilles... C'est en montant que nous vîmes cette inscription : grotte du ciel, de la terre et de la mer ... une demeure pour les Bonzes et une pagode où ils font leurs cérémonies ... Tel est le petit voyage que j'ai fait aux rochers de marbre, et dont le souvenir me sera toujours très agréable. »

Il exprime par ailleurs une critique du comportement des missionnaires chrétiens en Cochinchine : « Toutes deux sont par trop partiales, et ne parlent uniquement que de tout ce qui serait possible de faire pour améliorer le sort des Missionnaires, et faire tolérer le christianisme en Cochinchine. M. Chamaison va même jusqu'à dire que, à cause de l'arrestation de Monseigneur Le Fèvre, ipso facto, dit-il, on pourrait menacer l'Empereur de la Cochinchine d'une guerre avec la France. »

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Le portrait de l'évêque Dominique Lefèvre, après sa libération, donne l'image d'un certain fanatisme : « M. Le Fèvre est un homme de 36 ans, de taille moyenne, paraissant fatigué, et ayant une figure brune avec longue barbe noire, et de grands yeux noirs. Je le trouve froid et peu communicatif ... Un des ministres lui proposa, au nom de l'Empereur, 10 piastres et des habits qu'il refusa. Il a fait la route de Hue à Tourane en 2 jours et 1 nuit. »

Néanmoins, la campagne de l'Alcmène a constitué une mission de paix avec les échanges de lettres entre le Commandant et les mandarins (grands commis) de l'Empereur de Cochinchine, les cérémonies de négociations à bord ou à terre dans les pagodes du village voisin, les remises de cadeaux cochinchinois, et enfin l'arrivée du prisonnier libéré.

Cela ne suffira malheureusement pas pour éviter la guerre : en 1857, le nouvel empereur d'Annam Tự Đức fit mettre à mort deux missionnaires catholiques espagnols. En septembre, un corps franco-espagnol débarqua à Tourane (l'actuelle Da Nang) et la guerre s'enlisera jusqu'en 1862. Quant à Jean-René il est de retour au pays breton depuis fin 1846 et préside aux destinées de la papeterie familiale d'Odet.

Transcriptions

Journal du chirurgien J.R. Bolloré

VOYAGES EN CHINE ET AUTRES LIEUX

Le vendredi 16, nous appareillons à 5 h 1/4 du matin, avec des paquets à ne décacheter qu'à une certaine distance en mer. Mais nous savions déjà à Tourane [3], en Cochinchine. Monseigneur Le Fèvre, évêque coadjuteur, était dans les prisons de Hue-Fo, depuis octobre 44, et avait demandé à l'Amiral et à l'Ambassadeur français secours et assistance. M. Cécille donna à notre commandant une lettre cachetée pour l'Empereur de la Cochinchine, avec l'ordre de ne séjourner à Tourane [3] que 10 jours au plus.

Journal du commandant Fornier-Duplan

V. Mission de l'Alcmène en Annam - De Singapore à Tourane [3] - Remise d'une lettre adressée au Roi de Cochinchine ; pourparlers avec les mandarins - Mgr Lefèvre remis au commandant Fornier-Duplan - Lettres de missionnaires français - Départ de Tourane [3] ...

Le 16 mai 1845, nous avons appareillé à cinq heures et demie du matin, laissant la Cléopâtre et la Victorieuse au mouillage. Pour cette campagne, que nous fîmes en Annam, je transcrirai le rapport que que j'en ai remis à l'amiral à mon arrivée à Manille ; j'y joindrai deux lettres assez curieuses, que j'ai reçues en Cochinchine :

« À M. l'amiral Cécille, commandant la station des mers d'Indo-Chine. Amiral. J'ai l'honneur de vous transmettre le rapport suivant, de la campagne de l'Alcmène en Cochinchine.

Publications

Annotations

  1. 1,0 1,1 1,2 1,3 et 1,4 Minh Mạng (1791-1841) est le deuxième empereur de la dynastie des Nguyen du Viêt Nam. Il est le plus jeune fils de l'empereur Gia Long, dont le fils aîné, le prince héritier Canh, est mort en 1801. Il est connu pour son opposition à l'implication de la France dans les affaires vietnamiennes et son orthodoxie confucéenne rigide.
  2. 2,0 2,1 2,2 2,3 2,4 et 2,5 Gia Long, né à Hué en 1762, connu dans sa jeunesse sous le nom de Nguyen Phúc Ánh, mort à Hué en 1820, est le fondateur de la dynastie impériale des Nguyen, qui régna sur le Viêt Nam jusqu'en 1945. À 16 ans, sa famille est renversée par les Tây Sơn, et tous ses parents sont tués. En 1802, il prend le pouvoir et réunifie le Nam Viêt, séparé par la guerre civile depuis le XVIIe siècle.
  3. 3,00 3,01 3,02 3,03 3,04 3,05 3,06 3,07 3,08 3,09 3,10 3,11 3,12 3,13 3,14 3,15 3,16 3,17 3,18 3,19 3,20 3,21 3,22 3,23 3,24 3,25 3,26 3,27 3,28 3,29 3,30 3,31 3,32 3,33 3,34 3,35 3,36 3,37 3,38 3,39 3,40 3,41 et 3,42 Anciennement appelée Tourane par les Français lors de la colonisation française, Da Nang est une ville de la région de la Côte centrale du Sud du Viêt Nam, située sur l'estuaire du fleuve Han et au pied de la montagne Sơn Trà, et à proximité de Huế (ancienne capitale impériale jusqu'à Bao Dai, dernier empereur de 1955 à 1997).
  4. 4,0 et 4,1 Pavillon jaune, g.s.m. : terme de marine, on hisse le pavillon jaunede demande de libre pratique pour signifier son arrivée en attendant d'avoir effectué les formalités réglementaires. Les formalités d'entrée dans le pays ("clearance in" comme disent les anglo-saxons) n'ayant pas encore été faites, le bâteau est supposé recevoir la visite de la Douane, de la police maritime, du capitaine de port, de l'immigration, des services sanitaires etc... [Terme] [Lexique]
  5. Jules Dumont d’Urville, (1790-1842), est un officier de marine et explorateur français qui mena de nombreuses expéditions, notamment à bord de l'Astrolabe. Il eut notamment pour mission d’explorer l’Océanie et l’Antarctique.
  6. L'empereur Thiệu Trị du Viêtnam, né Nguyễn Phúc Miên Tông, est le 3e souverain de la dynastie des Nguyen. Il est le fils aîné de l'empereur Minh Mang et le père de l'empereur Tự Đức. Il règne du 14 février 1841 à sa mort le 4 novembre 1847.



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Thème de l'article : Coupures de presse relatant l'histoire et la mémoire d'Ergué-Gabéric Création : Juin 2016    Màj : 23.12.2023