Le cantique populaire "Itroun Varia Kerdevot" de Jean Salaun en 1881

De GrandTerrier

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Le cantique de Kerdévot, tel qu'il est toujours chanté avec ferveur à Ergué-Gabéric, n'a pas l'ancienneté de son prédécesseur, celui composé en 1712 ; mais, comme support de la tradition de nos anciens, le cantique actuel mérite assurément de figurer au registre du patrimoine communal.

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Quelles sont donc l'origine, les paroles et les notes de ce cantique de Kerdévot ? On trouvera ici quelques explications, une partition, des fac-similés de l'édition originale (imprimatur du 24 juin 1881) et des enregistrements sonores.

On trouvera aussi ci-après quelques anecdotes et témoignages sur des moments d'interprétation du cantique, soit notamment l'article d'un journal local en 1906, un entrefilet de Pierre Roumégou dans Le Télégramme et enfin l'hommage en breton de Bernez Rouz relatant l'enterrement de l'écrivain Elliantais Guillaume Kergourlay [1] le 12 novembre 2014.

Autres lectures : « Les miracles de l'ancien cantique Itron Varia Kerdevot de 1712 » ¤ « Résistance contre l'inventaire des biens religieux à Ergué-Gabéric, journaux divers 1906 » ¤ « Souvenirs du pardon de Kerdévot par Pierre Roumégou » ¤ « Cantique de saint Guinal d'Ergué-Gabéric » ¤ « L'orgue Dallam du 17e siècle de l'église St-Guinal » ¤ « KERGOURLAY Guillaume - Le pays des vivants et des morts » ¤ 

Présentation

L'air du cantique de Kerdévot est une reprise d'un grand classique des chants dédiés à la Vierge Marie, composé par l'abbé Hippolyte Boutin (1849-1946) en fin du 19e siècle. Le refrain de ce cantique de l'église française était en langue latine : « Laudate, laudate, laudate Mariam ». Et le premier couplet : « O Vierge Marie, Entends près de Dieu. Ton peuple qui prie : Exauce ses vœux ». Au début du 20e siècle, ce cantique était connu dans la France entière par tous les catholiques qui l'utilisaient systématiquement pour le culte marial.

À la même époque, Jean Salaün (1831-1885) [2], éditeur de musique à Quimper, proposa une version bretonne de la Laudate Mariam, dédiées à toutes les chapelles et pardons dédiés à la Vierge Marie mère de Dieu (« Mamm Doue, o Gwerhez »).

Après cette première version générique, Jean Salaûn édita aussi une version « Intron Varia Kerdevot » bien localisée, pour laquelle il obtint en 1881 l'imprimatur du vicaire général Auguste du Marhallac'h [3] :

  • « Hogen 'n ilis kaera, Euz a vro Gerne, D'ann Itroun-Varia, A zo enn Ergue ! » (Mais la plus belle église du pays de Cornouaille et de la vierge Marie, est à Ergué ).
  • « Kerdevot eo hanvet, Chapel burzudus » (Kerdevot est nommée chapelle de merveilles).

Une traduction en français des 6 couplets de la version courte chantée aujourd'hui est proposée ci-dessous, suivie de deux fac-similés de la version intégrale du 19e siècle (25 strophes, avec une traduction partielle de 7 strophes). Ainsi que trois enregistrements sonores à écouter : si vous en disposez d'autres, n'hésitez pas à nous les envoyer, et toute anecdote sur les circonstances d’interprétation sera la bienvenue.

Partition et enregistrements

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(Cliquer sur l'image ci-dessus pour un affichage grand format)

Ci-dessus la partition et le début du texte tels qu'ils sont joués et chantés aujourd'hui, avec 6 couplets et un refrain sur l'air du Laudate « Mamm Doue, o Gwerhez, Gwelit hor harantez, ... On diwallit bemdez. » (Mère de Dieu, ô Vierge, Écoute notre amour. Protège nous chaque jour). Le texte intégral et d'origine de la fin du 19e siècle, plus long et légèrement différent, a été composé par Jean-Marie Salaün [2], éditeur de musique de Quimper, avec imprimatur de 1881.

Trois versions enregistrées, la première en l'église paroissiale St-Guinal avec l'accompagnement de l'orgue Dallam, et les deux suivantes à la flute traversière.

A. Enregistrement église St-Guinal

Version chantée accompagnée à l'Orgue (02:02).

Françoise Le Roux [4] : « Cet enregistrement en "live" est techniquement et musicalement sans prétention, mais il a le mérite d'exister; la ferveur y est assurément ».

B. Voix à la flute traversière

Enregistrement amateur de Gwenn Cognard.

Partition "chant" uniquement (00:28).

C. Partition complète à la flute traversière

Enregistrement amateur de Gwenn Cognard.

Fusion des canaux multi-instrumentaux avec le logiciel Audacity (00:28).

Paroles et traductions - Version courte

Ce qui suit est le texte chanté aujourd'hui avec ses 6 couplets (le texte original plus long et différent étant reproduit ci-après).

Diskan :
Mamm Doue, o Gwerhez
Gwelit hor harantez
Mamm Doue, o Gwerhez
On diwallit bemdez.

I. Kanom a vouez uhel
Mari, Mamm Doue
Ni oll e Breiz-Izel
Zo he Bugale.

II. Kerdevot zo brudet
Dre oll vro Gerne
Aman e vez pedet
Mamm garet Doue.

III. Kristenien an Ergue
Ho pedo bepred
Da vired o ene
O Gwerhez karet.

IV. Ato c'hwi ro skoazell
D'an oll dud devot
Ho ped en ho chapel
Intron Kerdevot.

V. Kerneviz niveruz
A houlenn sikour
O Mamm madelezuz
E-kreiz o labour.

VI. Ni gan meuleudiou
Deoh, Gwerhez Vari !
Hag en on ezommou
Ni gar o pedi.

Traduction française :



Refrain :
Mère de Dieu, ô Vierge
Écoute notre amour
Mère de Dieu, ô Vierge
Protège nous chaque jour

I. Chantons à voix haute
Marie, Mère de Dieu
Nous tous en Basse-Bretagne
Sommes ses enfants

II. Kerdévot est célèbre
Dans toute la Cornouaille
Ici nous prions
La mère aimée de Dieu

III. Chrétiens d'Ergué
Nous prions toujours
De réserver notre âme
À notre Vierge aimée

IV. Vous serez toujours le secours
De tous les gens dévots
Par ta prière dans ta chapelle
Notre Dame de Kerdévot

V. Les Cornouaillais nombreux
Demandent le secours
A leur Mère bienfaisante
Au travers de ses œuvres

VI. Nous chantons les louanges
De vous, Vierge Marie
Et dans nos besoins de charité,
Nous aimons te prier

Texte intégral (25 strophes)

Sous le titre « Itroun Varia Kerdevot air Laudate Mariam » les Archives Diocésaines de Quimper ont référencé ce document inédit, daté de 1888, publié par la librairie J. Salaun et publié sur leur site Internet : http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/items/show/145.

Hormis le premier couplet identique, le texte est largement différent de la version courte ci-dessus. Le refrain est simplifié : « Mam Doue, ô Guerc'hez, Bezit hor c'harantez ) bis » (Mère de Dieu, ô Vierge, soyez notre Amour). Le vocabulaire est plus riche et les scènes plus imagées : « Gant mein dantelezet » (pierre de dentelle), « A ziouch ar c'hleuniou » (au milieu des talus) ...

La succession des 25 strophes délivre une introduction sur les chapelles bretonnes, la description de la plus belle d'entre elles, puis l'évocation des pèlerins de tous ages, de toutes conditions et de toutes les paroisses avoisinantes (« Kals a dud er bed ! », beaucoup de monde au pays) , et au 25e couplet « Ni 'gano da viken, Mam drugarezuz ! » (Nous te chantons pour la vie, Mère miséricordieuse).

Nous disposons également d'une feuille volante recto-verso non datée (mais sans doute d'avant 1900, intitulée « Pélerinage à N.-D. de Kerdévot », éditée à l'imprimerie Kerangal [5], incluant deux autres cantiques (« Nous voulons Dieu » et « Unvaniez merc'hed Frans »), et pour ce qui concerne « Itroun Varia Kerdévot » les 25 strophes sont strictement conformes à l'édition de Jean Salaun.

Tentative de traduction partielle :

Témoignages, anecdotes

Début mars 1906, lors de l'opération d'inventaire à la chapelle de Kerdévot, les résistants d'Elliant et d'Ergué-Gabéric entonnèrent le cantique pour marquer leur contestation : « quand nous y arrivons, les gens d'Elliant nous y avaient précédées et chantaient le cantique de Notre-Dame de Kerdévot », et « M. le Recteur nous a remerciés de notre bonne conduite et tout le monde est sorti en chantant le cantique de Notre-Dame de Kerdévot. » [6].

Per Roumegou, dans un article publié en 1979 dans le journal « Le Télégramme » rendant compte du pardon de Kerdévot, termine ainsi : « Le salut du Saint-Sacrement mit fin aux cérémonies qui se terminèrent par le cantique de N.D. de Kerdévot chanté par tous les assistants ».

Bernez Rouz a écrit un bel hommage à l'écrivain et dramaturge breton Guillaume Kergourlay [1] dans la revue « Brud Nevez » d'Emgleo Breizh de ce début d'année 2015 :

« Eun eston eo bet da barrezioniz Bessy-sur-Cure, eur vourhadenn a vro Bourgogn, kleved poziou brezoneg kantik Itron Varia Kerzevot d’an 12 a viz du diweza. Leun-choug e oa an iliz da zaludi evid ar wech ziweza Gwillou Kergourlez. Hag eo war don Laudate eo bet kanet a-bouez-penn gand Claude Nadeau hag ar Vretoned. Deuet e oant da ambroug eun ano braz eus bed al lennegez hag ar c’hoariva, eur Breizahd penn-kil-atroad : "Mamm Doue, o Gwerhez / Gwelit or harantez / Mamm Doue o Gwerhez / On diwallit bemdeiz". »

Trad. : La surprise a été grande pour les paroissiens de Bessy-sur-Cure en Bourgogne en entendant les paroles en breton du cantique de Kerdévot le 12 novembre dernier. Dans l'église pleine à craquer, pour saluer une dernière fois Guillaume, l'air du Laudate a été chanté à tue-tête par Claude Nadeau et les bretons présents. Ils étaient venus à accompagner ce grand nom de la littérature et du théâtre, breton de la tête au pied : "Mère de Dieu, ô Vierge / Écoute notre amour / Mère de Dieu, ô Vierge / Protège nous chaque jour".

Annotations

  1. 1,0 et 1,1 Guillaume Kergourlay, l'un des grands auteurs dramatiques de Bretagne est né à Elliant en 1926. Dans son livre "Le pays des vivants et des morts - Bro-Eliant une mémoire", condensé de l'histoire rurale de Cornouaille dans la première moitié du 20e siècle, il a raconté l'histoire des siens jusqu'à son départ pour Paris en 1950. Il a découvert le théâtre en s’engageant dans le mouvement des JAC (Jeunesse agricole chrétienne) à l’issue de la seconde guerre mondiale, et il est l'auteur d’une douzaine de pièces de théâtre et a fondé le théâtre de Bourgogne. Il est décédé le 10 novembre 2014 à Bessy-sur-Cure.
  2. 2,0 et 2,1 Salaun (Jean-Marie), né à Lambézellec, le 12 janvier 1831, décédé à Quimper, le 30 décembre 1885. Il entra tout jeune à la maison Lefournier comme apprenti relieur. J. Salaun obtint son brevet de libraire à Quimper, à la date du 2 février 1859. Après son arrivée à Quimper, il devint, sous différents pseudonymes (Bragou-Berr, p. ex.), un collaborateur assez actif du journal L'Océan. Articles de polémique surtout. Au nombre de ces articles, on peut citer ceux dans lesquels il prit fait et cause pour La Villemarqué contre Luzel qui venait de publier sa brochure "De l'authenticité des chants du Barzaz-Breiz" (Saint-Brieuc, Guyon Francisque, 1872 ; in-8°, vi-47 p.). — J. Salaun est l'auteur d'un assez grand nombre de cantiques, français et bretons, qui sont devenus vite populaires, et le sont demeurés : Reine de l'Arvor, nous te saluons; D'hor mam Santez Anna, etc ... Après la mort de J. Salaun, cette association persista encore quelques années avec son fils, J. Salaun, qui prit sa suite. La librairie fut transférée, en 1912, au 7, rue Saint-François, où elle existe toujours, tenue par M. Le Goaziou qui l'acquit en 1919.
  3. 3,0 et 3,1 Auguste du Marhallac'h (1808-1891), parfois dénommé Monseigneur ou Mgr du Marhallac'h, est un fonctionnaire et un ecclésiastique entré tardivement dans l'Église. Issu d'une très ancienne famille de propriétaires terriens, dont l'un des berceaux est le hameau du Marhallac'h en Plonéis (Finistère), son père, Jean-Félix du Marhallac'h a émigré pendant la Révolution et servi dans l'armée de Condé. Après des études de droit et de médecine à Paris, où il se lie avec d'autres jeunes nobles bretons, Auguste est nommé inspecteur des monuments historiques en 1835. Il devient, ensuite, administrateur de l'hôpital civil de Quimper. Après la mort de ses enfants en bas âge et, en 1845, de son épouse en couches, il entre en 1851 au séminaire de Quimper et est ordonné prêtre en 1854. En 1873, l'évêque de Quimper, Monseigneur de la Flèche le rappelle pour le nommer vicaire général auprès de lui. Il se consacre particulièrement à l'ouverture d'écoles catholiques gérées par les Frères des écoles chrétiennes.
  4. Françoise Le Roux est l'organiste paroissiale et a participé activement à la promotion et la restauration de l'orgue historique du facteur anglais Dallam en l'église d'Ergué-Gabéric
  5. La maison De Kerangal (« ti De Kerangal ») était l'atelier de typographie d’Arsène de Kérangal, imprimeur de l’Evêché. D’une famille originaire des Côtes d’Armor, à 31 ans Arsène de Kérangal épousa en 1858 Mademoiselle Darnajou, fille d’un riche négociant en vins quimpérois. Il était alors employé aux Contributions indirectes. En 1862, Eugène Blot lui vendit son imprimerie. Abandonnant sa situation de fonctionnaire, De Kerangal devint alors rédacteur en chef des revues imprimées, notamment « L’Impartial du Finistère », journal fondé en 1846. Comme ses prédécesseurs, il devint l’imprimeur officiel du diocèse, « mouler an aotrou‘n eskop ». L’évêque, Monseigneur Sergent, lui confia en 1866 l’impression de la revue intitulée « Feiz ha Breiz » (« Foi et Bretagne »), destinée à une large diffusion, dans l’ensemble du Finistère. Sous la Troisième République, Arsène de Kerangal se rangea dans le camp des catholiques et royalistes convaincus. Il imprima une quantité énorme d’ouvrages de dévotion, catéchismes, cantiques, vies de saints, missels et de nombreux tracts en faveur de la monarchie. Toute sa vie, il lutta contre les idées des anti-cléricaux. Il céda son affaire à son fils aîné, pour assurer la continuité de l’entreprise, déjà vieille de plus de deux siècles.
  6. Action Libérale du 07.03.1906, article "Ergué-Gabéric. La persécution. - Récit d'une Ligueuse".



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Thème de l'article : Patrimoine culturel et artistique Création : Août 2015    Màj : 21.08.2023