Les bannières paroissiales de saint Guinal, ND de Kerdévot, Tonkin, saint Michel et Fatima

De GrandTerrier

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En référence une enquête documentaire récente [1] de Jean-Yves Cordier sur son blog lavieb-aile.com lequel propose chaque semaine plusieurs visites inédites d'éléments méconnus du patrimoine finistérien.

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« La paroisse d'Ergué-Gabéric (Finistère) possède de belles bannières de la fin du XIXe-début XXe siècle et consacrées à la Vierge et à saint Michel, mais dont l'une, peut-être unique en France, porte la mention Tonkin 1885 : une petite énigme pour les esprits curieux ».

On trouvera ici une sélection de photos de ces bannières de procession (prises en 2008 et précédemment), le résumé des travaux du bloggeur [1] au regard émerveillé et érudit, et quelques compléments d'information.

Autres lectures : « les bannières d'Ergué-Gabéric / lavieb-aile.com» ¤ « Le pardon de Notre-Dame de Kerdévot » ¤ « Carnets d'Anatole Le Braz sur Jean-Marie Déguignet et Ergué-Gabéric » ¤ « La fête du patrimoine, OF-LQ 1980 » ¤ « Saint Gwenhaël (6e siècle) » ¤ « Corentin Signour, maire (1947-1953) » ¤ « La bannière et la médaille de Pierre-Marie Quintin alias "Tonkin Kozh" » ¤ 

Présentation

Onze bannières de procession ont été recensées, lesquelles sont habituellement exposées dans l'église paroissiale St-Guinal. Autrefois elles étaient de sortie plusieurs fois dans l'année pour les fêtes religieuses locales, notamment au pardon de Kerdévot, mais aussi à l'occasion des pardons bretons voisins où la paroisse devait être représentée.

Vêpres au pardon de Kerdévot

Le 20 octobre 1980, lors d'une journée du patrimoine mémorable, ces bannières furent toutes rassemblées dans une salle d'exposition préparée par la commission extra-municipale des recherches historiques d'Ergué-Gabéric :

Exposition du patrimoine en 1980

Les plus anciennes bannières, celles de Notre-Dame de Kerdévot et du Tonkin, ont été commandées et acquises à la fin du 19e siècle (avant 1903 pour la seconde).

L'année 1885, fin du conflit franco-chinois et début de pacification du nouveau protectorat, est explicitement brodée sur celle du Tonkin. Pour celle de Notre-Dame de Kerdévot l'analyse du blasonnement du pape qui l'orne permet de définir une première période de 1878 à 1903, et une seconde par le témoignage d'Anatole Le Braz en 1899.

Elles sont toutes faites de velours épais, rouge, bleu ou vert, ou d'une soie plus légère pour l'une d'entre elles, avec une broderie or ou argent.

Les donateurs, pour trois d'entre eux, ont fait mettre leurs initiales brodées sur leurs bannières :

• M.G. sur celle de saint Michel. Michel Le Goff, agriculteur à Sulvintin, en fit le don vers 1919-20.

• P.N. sur celle de saint Guinal. Le donateur de cette bannière est réputé être François Nédélec, mais le P(ierre?) désignait peut-être un proche ?

• C.S. sur celle du Tonkin : Corentin Signour de Keranroux (Kerrouz). Le mémorialiste Anatole Le Braz, de passage à Kerdévot en 1899, en parle dans son journal. Signour a peut-être fait un don par solidarité avec les vétérans du Tonkin ou alors s'est approprié la représentation de saint Corentin, mais le vrai vétéran du Tonkin est Pierre-Marie Quintin de Niverrot, la bannière ayant été financée par ses parents à son retour du Tonkin.

La démarche des donateurs étaient, en payant de leurs deniers la réalisation d'une bannière, de remercier la Sainte-Vierge de Kerdévot d'avoir veillé sur leurs enfants ou proches (ou eux-mêmes) partis pour l'armée. Ainsi la bannière de saint Guinal est un don de la famille Nédélec de Kergoant après la guerre de 1939-45. Et celle de saint Michel est un don d'un soldat survivant à son retour de la guerre 1914-18.

La bannière du Tonkin est plus ancienne et plus rare : en effet ce territoire lointain, situé entre le Vietnam actuel et la Chine, fut l'objet d'un conflit franco-chinois de 1881 à 1885. Le protectorat français du Tonkin, installé dans sa capitale Hanoï en 1885, sera pacifié par l'armée française jusqu'en 1887. On a décompté 2 100 morts ou blessés français, et 10 000 dans les rangs de l'Empire de Chine, des Pavillons noirs [2] et du Royaume d'Annam.

Le journal républicain « Le Finistère » [3] du 4 novembre 1885 annonce ainsi la Médaille commémorative qui récompensera les 97 300 militaires et marins ayant pris part à l’expédition : « La médaille du Tonkin. Voici un document (circulaire du ministre de la marine et des colonies) de nature à intéresser nos vaillantes populations maritimes, tous ces braves Bretons qui ont été au Tonkin soutenir l'honneur du drapeau français, et se sont montrés sourds jusqu'à la fin aux lâches suggestions de ceux qui n'ont pas craint, en déconsidérant cette expédition, de déconsidérer leurs services ».

De même, le compositeur quimpérois Mikeal Queinec (1849-1909) publie entre 1880 et 1893 un chant de colportage en breton sur feuille volante imprimée chez de Kerangal « Brezel an Tonkin hag ar Chin », dans laquelle il salue le départ des soldats, mais formule une prière afin que la troupe n'ait pas à subir un « châtiment divin amplement mérité par ses chefs républicains ».

Iconographie

Bannière bleue de ND de Kerdévot

Datation : entre 1878 et 1903

Matière : Velours bleu, fil d'or, soie.

Inscription : ITROUN VARIA KERDEVOT / SIKOURIT AC' HANOMP. (Notre-Dame de Kerdévot, Aidez-nous)

Figures : Vierge à l'Enfant assise, couronnée, vêtue de rouge et d'or. Monogramme marial AM ( « Auspice Maria », sous la protection de Marie) [4].

Armoiries : Blason de Bretagne, d'hermine plain, couronne ducale, deux lévriers, et armoiries pontificales [5] du pape Léon XIII (Vincenzo Gioacchino Pecci), pape de 1878 à 1903.

En 1899 Anatole Le Braz assiste au pardon de Kerdévot et il écrit : « Les hommes sont debout ; les bannières droites dans la balustrade. L'une d'elles, blanche, avec une image en or est l'Intron Varia Kerzevot. D.E.D. On lui a mis derrière une Vierge de Lourdes qui, bientôt sans doute la supplantera ». On peut supposer que cette ancienne bannière blanche est dans un état vétuste qui ne lui permettra pas d'être porté lors des prochaines processions, et que la bannière de velours bleu ne soit sans doute commandée pour la remplacer.

Restauration par des brodeuses de la paroisse ayant suivi une formation auprès de l'École de broderie d'art de Kemper créé en 1995 par Pascal Jaouen.

Bannière rouge du Tonkin

Datation : 1885

Matière : Velours rouge à broderies or.

Figure : Un jeune enfant auréolé est entouré de deux évêques ou abbés ; un poisson au pied de celui qui porte une chasuble jaune identifie saint Corentin, patron de Quimper en particulier et du diocèse en général. Son voisin serait donc son disciple saint Guénolé, abbé de Landevennec.

Donateur : Autour de l'inscription « TONKIN 1885 » sont brodées les deux initiales C.S.

Témoignage du mémorialiste Anatole Le Braz, de passage à Kerdévot en 1899 : « Une autre bannière de velours écarlate représente St Corentin en rouge et en jaune, avec mitre d'or, et St Guénolé, tout en blanc, blanche la mitre, protégeant un jeune enfant en robe. - Au dessous, dans un cartouche, Tonkin, 1885. Elle a été offerte par Signour »

Corentin Signour (1861-1898) du village de Keranroux, né 11 avril 1861 n'a pas participé aux opérations du Tonkin. Ses initiales laisse supposer qu'il a peut-être contribué au financement de la bannière par solidarité avec les vétérans du Tonkin ou alors s'est approprié la représentation de saint Corentin. Par contre Pierre-Marie Quintin (1861-1930) de Niverrot, celui qu'on surnommait « Tonkin kozh » a bien participé aux opérations de 1885 au Tonkin : « Expédition du Tonkin du 19 janvier 1885 au 4 juillet 1886 ». Il recevra pour ses services un certificat de bonne conduite et la médaille commémorative du Tonkin, et la bannière rouge est bien la sienne, ses parents l'ayant financé à son retour du conflit..

Pour porter cette bannière lors des processions à Kerdévot, il fallait obligatoirement avoir fait son service militaire.


Bannière verte de la Vierge de Fatima

Datation : après 1917

Matière : Velours vert, broderies or.

Inscription ITRON VARIA FATIMA PEDIT EVIDOMP ( Notre-Dame de Fátima, Priez pour nous).

Monogramme marial A.M. (« Auspice Maria », sous la protection de Marie) [4] en partie inférieure centrale.

Fátima est une petite ville portugaise située dans le District de Santarém. La ville devient célèbre en 1917, quand trois jeunes bergers auraient été témoins à plusieurs reprises d'une apparition mariale. Ces apparitions ont donné naissance au sanctuaire de Notre-Dame de Fátima, lieu d'un célèbre pèlerinage catholique.


Bannière rouge de saint Michel

Datation : 1919-20

Matière : Velours rouge, broderie or et argent.

Inscription : QUIS UT DEUS, "Qui est comme Dieu" [6].

Armoiries ducales de Bretagne d'hermine plain, deux lévriers colletés, devise DOUE HA VABRO (Dieu et mon Pays). L'archange terrasse de sa lance, non pas un dragon, mais Satan représenté en ange déchu dont on ne voit que le beau visage, deux ailes, et le trident.

Initiales : M.G. en haut à gauche du donateur Michel Le Goff de Sulvintin à son retour de la guerre 1914-18. Michel Le Goff, de la classe 1913, a été blessé au front par deux fois, reçu deux citations individuelles, et une collective, et reçut un certificat de bonne conduite le 8 juillet 1919. Dans sa famille, la bannière de saint Michel était appelée « la bannière de Papa ».


Bannière rose de ND de Kerdevot

Datation : entre 1914 et 1922

Matière : Soie rose, broderie au fil d'or et de soie.

Inscription : ITROUN VARIA KERDEVOT PEDIT EVIDOMP (Notre-Dame de Kerdévot Priez pour nous).

Armoiries épiscopales de Benoît XV [7], pape de 1914 à 1922, et Mgr Duparc évêque de Quimper et Léon de 1908 à 1946.


Bannière rouge de saint Guinal

Datation : 1945-1947

Matière : velours rouge.

Inscription : SANT GUINAL HOR PATRON PEDIT EVIDOMP (Saint Guinal notre patron priez pour nous).

Guinal, le saint patron de la paroisse d'Ergué-Gabéric, est en fait sain Gwenael, second abbé de Landévennec après saint Guénolé. L'église paroissiale lui est consacrée, et il est réputé être né au village de Kerrouz.

Initiales P.N. (probablement N comme Nédélec). La bannière fut l'objet d'une donation de François Nédélec de Kergoant après un vœu d’intercession au début de la dernière guerre mondiale pour la protection des soldats membres de la famille.


Autres bannières de Kerdévot


Autres petites bannières mariales

Annotations

  1. 1,0 et 1,1 Jean-Yves Cordier a publié récemment trois articles très intéressants sur le patrimoine gabéricois : « Les bannières de la paroisse d'Ergué-Gabéric (29) : Tonkin! » le 04.04.2014, « Les vitraux anciens de l'église d'Ergué-Gabéric » le 05.04.2014 et « Les vitraux récents de l'église Saint-Guinal d'Ergué-Gabéric » le 10.04.2014.
  2. Les Pavillons Noirs étaient des soldats irréguliers récupérés par les Chinois qui les utilisent en Indochine contre les Français.
  3. Le Finistère : journal politique républicain fondé en 1872 par Louis Hémon, bi-hebdomadaire, puis hebdomadaire avec quelques articles en breton. Louis Hémon est un homme politique français né le 21 février 1844 à Quimper (Finistère) et décédé le 4 mars 1914 à Paris. Fils d'un professeur du collège de Quimper, il devient avocat et se lance dans la politique. Battu aux élections de 1871, il est élu député républicain du Finistère, dans l'arrondissement de Quimper, en 1876. Il est constamment réélu, sauf en 1885, où le scrutin de liste lui est fatal, la liste républicaine n'ayant eu aucun élu dans le Finistère. En 1912, il est élu sénateur et meurt en fonctions en 1914.
  4. 4,0 et 4,1 Le monogramme marial A.M. est l'emblème des Sulpiciens, les lettres « A » et « M » entrelacées, résumant la formule latine « Auspice Maria » (sous la protection de Marie).
  5. Blasonnement du pape Léon XIII : « D'azur au cyprès de sinople planté sur une plaine de même accompagné au francs quartier d'une comète d'or et en pointe de deux fleurs de lys d'argent, à la fasce d'argent brochant sur le tout ».
  6. « Quis ut Deus ? », phrase en latin signifiant « Qui est comme Dieu ? », est particulièrement associé à l’Archange Michel. Dans l’art, saint Michel est souvent représenté comme un guerrier angélique armé d’un casque, d’une épée et d’un bouclier, en train de terrasser Satan qui est identifié soit sous la forme d’un dragon, soit sous un aspect humain. Le bouclier porte parfois l’inscription : « Quis ut Deus » qui peut être vue comme une question dédaigneuse et de rhétorique posée à Satan (Wikipédia).
  7. Blasonnement de Benoît XV : « Tranché d'azur et d'or à l'église d'argent couverte de gueules brochant sur le tout, au chef d'or à l'aigle issant de sable ».



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Thème de l'article : Richesses patrimoniales Création : Mai 2014    Màj : 7.09.2023