MORVAN Jean-Louis - Prisonnier en Allemagne de 1940 à 1945
Un article de GrandTerrier.
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En juin 1940 Jean-Louis avait à peine 20 ans quand, après 19 jours de mobilisation, il dut, avec son régiment basé à Guingamp, se constituer prisonnier. De là commence un long voyage vers l'Allemagne où il passera par plusieurs stalags, kommandos, usines, fermes ... Pendant cinq années il consignera souvenirs et anecdotes dans des cahiers d'écoliers qui constituent aujourd'hui de véritables documents historiques. Autre article : « Jean-Louis Morvan, recteur d'Ergué-Gabéric » |
[modifier] 1 Histoire des cahiers
Au début il écrivit son journal sur des feuilles volantes en racontant sa courte mobilisation suivi de son expérience de KG (Kriegsgefangener), prisonnier en route vers le pays ennemi.
Là-bas en plein coeur de l'Allemagne, dans son premier camp de prisonnier à Limburg (Stalag XIIA), il les recopia dans un cahier relié de marque Schola, qu'il compléta les années suivantes de deux autres cahiers identiques. A son retour de captivité, sa soeur Elizabeth recopia délicatement le texte de Jean-Louis sur deux cahiers à spirales, constituant la seule version d'origine et intégrale qui a été conservée. Plus tard ces cahiers furent de nouveau recopiés, remaniés et repris au format A4 plus facilement photocopiables et agrémentés de photos prises en Allemagne et à son retour de captivité. |
Les transcriptions en ligne ci-dessous (sous forme de fichiers PDF téléchargeables) reprennent la version d'origine des cahiers à spirales : Cahier n° 1 (1940 et 1941) PDF n° 1 Cahier n° 2 (1942 à 1945) PDF n° 2 Le premier cahier fait 75 pages de petit format (+ 16 pages annexes) et est agrémenté de quelques photos. Il est intitulé "Mémoires du KG". Il démarre par la journée du 8 Juin 1940 et détaille la vie dans le Fronstalag de Compiègne, les Stalags de Limburg et de Frankenthal, et l'Oflag de Mayence, pour s'achever à la date du 7 janvier 1942. Le deuxième fait 69 pages (plus 6 pages complémentaires) et a pour titre "La captivité dure ... Vive la Joie ... Quand même ! ...". Il commence par la date du 9 janvier 1942 au Stalag de Trèves, à Traben-Trarbac'h, et se termine à Landerneau le 5 avril 1945. Ce qui frappe le lecteur de ses cahiers, c'est la spontanéité du prisonnier, et la fraîcheur de ses observations. Il dit et écrit tout haut ce qu'il pense. Et de cette spontanéité on devine une grande humanité, un sens de l'amitié et de la fraternité entre les peuples. Il dut travailler dur dans les champs, lui l'intellectuel, et affronter les idées nazies de certains de ses patrons de ferme. Et il souffrit physiquement lorsqu'il dut travailler à l'usine IG Farben-Industrie Ludwigshafen où il devait porter des sacs de soude de 100kg. |
[modifier] 2 Mémoires du K.G.
Jean-Louis avait intitulé son journal « Mémoires du K.G., matricule 49626 », le K.G. étant initiales de Kriegsgefangener, « prisonnier de guerre » (Krieg = guerre, Gefangener = capturé).
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[modifier] 3 Photos du voyage
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La photo n° 3 ci-dessus a été prise en février 1942 à Traben-Trarbach. Jusqu'en 1943 Jean-Louis a porté "fièrement" cette Croix de Lorraine, symbole de la résistance. Il faisait croire aux Allemands que c'était uniquement une croix catholique. Elle lui a été enlevée par un soldat allemand qui revenait de France. Ci-contre, un autre acte de "bravoure" de Jean-Louis, passer des messages en breton à sa famille, en plein milieu d'une lettre anodine en française qui passait par la censure allemande :
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[modifier] 4 Erinnerungen des K.G.
Ci-contre deux cartes postales conservées par Jean-Louis après son retour de captivité :
En 2008 Dieter Eyhoff de la ville de Duren en Allemagne fut appelé en tant que traducteur par Adof Welter, historien, qui cherchait et étudiait des témoignages sur le stalag XII D de Trèves comptant 30.000 hommes de différentes nationalités en 1942, et qui lui demanda de traduire en allemand les passages sur le kommando 322 A de Traben-Trarbach. Dieter Eyhof se prit au jeu et traduisit les quelques 72 pages du cahier n° 2 et donc voici la version téléchargeable en pdf, avec comme titre « Erinnerungen des K.G. » : « Heft nr 2 (1942-1945) ». En début d'année 2010, il reprit la traduction et acheva le cahier n° 1 : « Heft nr 1 (1940-1942) ». |
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Adolf Welter a publié de nombreuses études sur les périodes des guerres 1914-18 et 1939-45 dans la région de Trèves, et notamment entre autres :
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En fin d'année 2008, Adolf Welter transmit le document traduit à la ville Traben-Trabach où fut organisé le 21 Janvier 2009 une conférence intitulée « Arbeitskreis für Heimatkunde Traben-Trabach » par Christof Krieger qui cita abondamment des extraits du journal de Jean Louis Morvan. |
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En guise de conclusion, une scène mémorable, celle des prisonniers russes en juillet 1944, en français et en allemand :
Mardi 15 juillet 1944. Je prends donc le train pour Trèves, ville historique. J'aurais vu avec plaisir les anciennes ruines romaines (thermes, Porta Nigra), cathédrale ... Mais je suis K.G. ! ... De la gare je monte le chemin en escalier de bois sur le mont Pétrisberg (plus de trois cent mètres) et voici de nouveau les barbelés (heureusement que je portais des conserves et que mes patrons m'avaient donné pain et beurre !). Le camp et ses misères ! Les figures braves parmi les figures joufflues des employés du camp, tous les plus élégamment vêtus. Formalités harassantes des bureaux, fouilles, et bien entendu la réglementaire douche et dépouillage. Nous quittons un kommando propre où le patron se charge de notre lessive, où l'on se baigne, se douche, pour rentrer dans des baraques pleines de poux et de punaises ! N'empêche, il faut tout passer au dépouillage. Une quarantaine de Russes sont là avec leurs paquets de loques ! Jeunes de douze ans avec vieux de soixante ans et plus. J'arrive cigarette aux lèvres ; tous me fixent. La cigarette devenant mégot, trois ou quatre se précipitent vers moi, tendant la main comme des mendiants, les yeux suppliant et me disant : "Pitchouri". Je leur donne une cigarette ! Malheur ! Un flot d'êtres s'abat et mon paquet est liquidé. Un jour très proche viendra où moi aussi je serai comme eux, sans tabac, car les colis ne viennent plus et alors je serai heureux si quelqu'un me fait cadeau d'une cigarette. Cette misère m'outre contre les Schleus. A Limburg en décembre 1941 j'avais été écœuré aussi de voir la barbarie boche : les Russes étaient parqués au bout du camp français dont ils étaient séparés par des barbelés. Des sentinelles boches avec mitrailleuses surveillaient cette barrière et pas un français ne devait la franchir sous peine de mort : une tête de mort placée à la porte nous avertissait du sort de l'imprudent qui oserait franchir cette zone. Une grande partie de mon temps je le passais à faire les cent pas non loin des Russes. Je venais de Mayence avec les poches et la valise pleines de tabacs de toutes sortes. Me cachant derrière une baraque, je lance aux Russes des paquets de cigarettes. Mais ils sont trop nombreux, trop sauvages, comme des bêtes ils se jetaient sur les cigarettes et se battaient à coups de sabots. Chaque fois il fallait l'intervention d'une espèce de commissaire russe, prisonnier comme eux, qui, d'un gourdin, les frappait au visage. C'était la terreur du camp russe. Quelle civilisation ! Entre frères de misère la nécessité d'une telle discipline. Il fait plus de moins dix degrés. Hiver rigoureux. Les Russes (majorité de quinze à dix huit ans) n'ont pas de chaussettes, leurs effets ne mériteraient même pas le nom de guenilles, sont chaussés de souliers sans bout ni talon et fixés au pied par des ficelles. Ne reçoivent rien de la Croix Rouge, ni savon, ni nourriture. Tous les jours, des quêteurs français passent dans les baraques avec une couverture où chacun jette sa petite obole : quelques biscuits. Rares sont les prisonniers qui ne fassent leur aumône à ces fantômes squelettiques. La discipline s'est paraît-il relâchée. Quand les premiers Russes sont arrivés, ils ne recevaient pour ainsi dire rien de la cuisine allemande. On les voyait manger l'herbe qui en un rien de temps fut "broutée". Et alors, ils se sont mis à manger le goudron qui recouvrait les toits en carton des baraques. Pour du pain qu'on leur jetait, ils s'entretuaient et les Boches, des "miradors" (poste d'observation surélevé) prenaient part au carnage en tirant dans le tas, des rafales de mitrailleuse ! Heureusement que je n'ai pas connu cette période ! Le premier jour de mon arrivée au camp de Limburg, après avoir franchi la porte d'entrée, une espèce d'arc de triomphe avec au-dessus, sur le fronton, un kolossal aigle portant dans ses griffes la Croix gammée. Le drapeau flotte et bien entendu j'au dû le saluer ce hideux chiffon. Une grande rue goudronnée traverse le camp. Ce chaque côté, entourés de barbelés, les baraques cachant leurs misères. Je me rappelle toujours de mon passage dans ce camp il y a un an ! Ignominie. Vais dans la fameuse baraque 17, départ pour les kommandos. Lits à étages avec paillasses hideuses où grouillent les bêtes. Je préfère coucher sur le ciment, habillé, mon sac rempli de livres me sert d'oreillers. Tôt le matin, je suis réveillé, messe. J'étais appuyé contre les barbelés, quand je vois deux infirmiers français portant un brancard recouvert d'une capote bleue. Je n'y fais pas attention car je croyais le brancard vide, puis arrivent deux autres avec brancard, puis les deux prisonniers reviennent. Je suis intrigué et demande l'explication à un camarade : "Oh ! , dit-il, c'est un défilé ininterrompu ainsi chaque matin. Ils transportent les Russes morts l'après-midi de la veille et la nuit !". Je suis effrayé ! Quoi ? des morts ! Suis-je donc en enfer ? Je fais attention et distingue, en effet, sortant de la capote, des pieds exsangues, sales. Les Russes déshabillent leurs morts pour se vêtir de leurs guenilles et se protéger du froid. Tous les jours il en meurt quinze à vingt ! Personne ne s'occupe d'eux, pas d'infirmerie. Celui qui est trop faible ou malade se couche sur son grabat et là meurt de faim s'il n'a plus la force de chercher sa pitance ; c'est la loi "marche ou crève". Pas un français ne rentre dans le camp ; les Russes apportent leurs morts à la porte de leur camp où les brancardiers français viennent les prendre. Chaque jour la même scène se répète. Camp pestilentiel, banni à tout autre qu'aux Russes. Les cadavres sont entassés dans une salle et là quand le nombre est atteint (cent) un camion arrive. On charge les morts, comme des paquets, pêle-mêle. Le camion se dirige dans le bled où on construit des fosses communes : la voiture bascule et les cadavres tombent dans la fosse. On les recouvre de chaux, puis de terre. On n'en reparlera plus. Allez ensuite chez les civils, ils vous diront qu'ils combattent pour le maintien de la civilisation, c'est le "Kulturkampf" inauguré par Bismark et que les nazis appliquent à la lettre. Dîtes-leur ces vérités : "Des balivernes", répondront-ils, "la Radio n'en parle pas". Divine propagande. Goebbels ne sait pas mentir ! ... Ce m'était un soulagement de quitter ces misères que je ne pouvais secourir, de ne plus voir ces morts vivants habillés de vert. Les représailles contre les Boches jamais ne seront assez sévères. |
Dienstag 15. Juli 44 Also nehme ich den Zug nach Trier, historische Stadt. Mit Vergnügen hätte ich mir die alten römischen Ruinen angeschaut (Thermen, Porta Nigra), den Dom… Aber ich bin ja K.G.!... Vom Bahnhof steige ich den Weg mit Treppenstufen aus Holz auf den Petrisberg hinauf (mehr als 300 Meter | |
Une diversion. Revenons au camp de Trèves. Je vais donc aux douches avec les Russes. Spectacles aussi horripilant qu'à Limburg. Un vieux de plus de cinquante ans (je lui donnerais soixante dix), sale, à barbe hirsute, porte sur son dos son fils (douze à treize ans), un squelette. On lui aurait compté les os sans excepter un seul. Le crâne, je ne dis pas la tête, trop lourd tombe sur les os des épaules. Un pied est terriblement enflé et noirâtre : la gangrène. Je me lave. Le vieux et son fils sont à mes côtés. Délicatement, le père pose son fils à terre et le lave. Je lui passe mon savon. Il veut me baiser la main (geste russe). Le gardien boche (un chien avec une âme de damné) arrive et hurle de se dépêcher et de bien se laver. Mon savon fait le tour parmi ces malheureux êtres tout nus. Le gosse ne peut se tenir debout et s'est faufilé dans un coin. Il est indifférent à tout et s'occupe seulement de respirer : à chaque souffle c'est un sifflement qui sort de sa poitrine et à chaque aspiration sa poitrine se bombe, ses côtes semblent sortir de la peau ! Le Boche s'approche, l'examine, l'insulte : il n'est pas encore assez propre ! Lui commande de se lever, mais le gamin n'entend rien. Furieux, le boche va prendre un tuyau et lui projette un jet d'eau glacée. Sans un mot le gosse s'affale. Le père le prend, muet. Personne ne dit mot, c'est le risque de l'esclavage où l'homme est tellement abruti qu'il est incapable de réflexion et de murmure. Un autre Russe (espèce chinoise) subit le même sort. Nous passons dans une autre pièce où tout nus, nous attendons une heure que les vêtements sortent de l'étuve ! Et je m'en vais à l'infirmerie où les punaises sont les Seigneurs. Passe la radioscopie. Alors commence une vie monotone, la vie du camp derrière les barbelés. Là-bas c'est la campagne, c'est la vie, la liberté, mais pas pour nous, cette terre est inhospitalière ! Du camp, nous dominons Trèves : vue splendide. En bas, la ville, la Moselle, la cathédrale au toit de cuivre ! Je ne puis goûter ces beautés. Le cœur, en pleine misère, est insensible à tout. |
Ein Ausflug. Kehren wir zum Lager nach Trier zurück. Also ich gehe mit den Russen unter die Dusche. Gleiches haarsträubendes Schauspiel wie in Limburg. Ein Alter von mehr als fünfzig Jahren (ich würde ihm 70 geben) dreckig, struppiger Bart, trägt auf seinem Rücken seinen Sohn (12 oder 13 Jahre), ein Skelett. Man hätte ihm die Knochen zählen könne ohne einen zu vergessen. Der allzu schwere Schädel, ich sage nicht der Kopf fällt auf die Schulterknochen {Schlüsselbein}. Ein Fuß ist schrecklich geschwollen und schwärzlich: der Wundbrand. Ich wasche mich. Der Alte und sein Sohn sind an meiner Seite. Vorsichtig setzt der Vater seinen Sohn zu Boden und wäscht ihn. Ich gebe ihm meine Seife. Er will mir die Hand küssen (russ. Geste). Der Boche Wächter (ein Hund mit einer Seele eines Verdammten) tritt hinzu und schreit man solle sich beeilen und sich gründlich waschen. Meine Seife macht die Runde innerhalb dieser unglücklichen nackten Wesen. Das nackte Kind kann sich nicht aufrecht halten und hat sich in eine Ecke geschlichen. Es ist unempfänglich für alles und nur damit beschäftigt zu atmen: bei jedem Ausatmen kommt ein Pfeifen aus seiner Brust und beim Einatmen bläht sich seine Brust auf, seine Seiten scheinen aus der Haut heraus zu treten! Der Boche nähert sich, untersucht es, beschimpft es: es ist noch nicht sauber genug! Er kommandiert es soll aufstehen, aber der Kleine hört nichts. In Wut nimmt der Boche einen Schlauch und spritzt ihn mit eiskaltem Wasser ab. Ohne ein Wort sinkt der Junge in sich zusammen. Der Vater nimmt ihn auf, stumm. Keiner sagt ein Wort, das ist das Risiko der Sklaverei, wo der Mensch so abgestumpft ist, das er zu keinem Nachdenken und Murmeln mehr fähig ist. Einem anderen Russen (chinesisches Aussehen) widerfährt das gleiche Schicksal. Wir gehen in ein anders Zimmer wo wir ganz nackt eine Stunde warten, bis die Kleider aus dem Sterilisator kommen! Ich gehe weiter zur Sanitätsstation, wo die Wanzen die Herren sind. Weiter zur Röntgenstation. Dann beginnt das monotone leben, das Lagerleben hinter Stacheldraht. Da unten ist das Land, das ist das Leben, die Freiheit, aber nicht für uns, diese Erde ist ungastlich! Vom Lager her überschauen wir Trier: wunderbarer Anblick. Unten , die Stadt, die Mosel, der Dom mit dem Kupferdach! Ich kann diese Schönheiten nicht genießen. Das Herz in all diesem Elend ist für all das nicht empfänglich. | |
Notes de traduction :
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Thème de l'article : Reportages, voyages, témoignages Date de création : Mars 2010 Dernière modification : 26.10.2014 Avancement : |