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De GrandTerrier

C'était une longue baraque, dans laquelle les ruches étaient placées en rangs superposés. Les abeilles sortaient et rentraient dans leurs ruches respectives par des fentes pratiquées dans le mur, chaque fente correspondant exactement à une ruche. Chaque ruche avait une vitre sur le derrière, par laquelle l'apiculteur pouvait examiner l'état intérieur de la ruche sans déranger les abeilles, et sans en être incommodé. Ces ruches étaient carrées et en bois de sapin. Il en mettait deux les unes sur les autres, et quand elles étaient pleines toutes les deux, il prenait celle du dessus et plaçait une ruche vide en dessous de l'autre. C'était très simple et très commode. Il ne risquait jamais d'être piqué par ses abeilles. Il n'avait pas besoin de sacrifier ces bonnes ouvrières, de les étouffer comme cela se fait presque partout, pour prendre leurs produits.

Quand nous eûmes tout vu, il nous conduisit dans sa bastide, petite maisonnettes sans étage, mais dans laquelle rien ne marquait pour le confortable. Il nous fit boire de toutes sortes de liqueurs fabriquées par lui avec du miel et des fruits. Nous mangeâmes aussi des gâteaux au miel, car tout était au miel chez lui, comme chez les dieux du nord. Il avait écrit une brochure expliquant son système, qu'il expédiait pour deux francs cinquante à ceux qui en lui en faisaient la demande. Il allait aussi dans les châteaux donner des leçons pratiques à certains seigneurs qui voulaient se distraire avec les abeilles. Enfin, mon ami et moi, avions conclu que cet homme devait être assurément le plus heureux du monde, et Orticoni dit de suite qu'il ne manquerait pas de suivre son système dès qu'il aurait fini son temps de service. Moi j'en disais autant. Mais malheureusement, je vis que ce système de culture artistique et forcée des abeilles n'était applicable que dans les pays chauds, où les abeilles trouvent à butiner presque toute l'année. En Bretagne, la saison du miel ne dure que quelques semaines, fin juillet et commencement d'août, et, si le temps devient mauvais pendant ces quelques semaines, l'année mellifère est nulle. Néanmoins, un apiculteur soigneux peut obtenir de cinq à six francs par an et par ruche, de sorte qu'avec une centaine, il pourrait vivre comme un seigneur. À partir de ce jour, nous parlions constamment d'abeilles, et de nos projets d'existence future. La belle existence indépendante de cet ermite apiculteur nous avait porté envie. Oritoni avait déjà un frère en Corse, me disait-il, qui vivait ainsi, non avec des abeilles, mais avec des poules et des lapins. Un vieux philosophe comme lui, se moquant des grandeurs et des glorioles de ce monde. Nous retournâmes plusieurs fois encore chez l'ermite apiculteur, où nous étions toujours bien reçus, ainsi que chez le savant physicien météorologiste.