Nicolas Le Marié (1797-1870), entrepreneur papetier

De GrandTerrier

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En 1822 il crée le moulin à papier d'Odet, le fait connaître dans les expositions parisiennes et le milieu papetier dominé par les Montgolfier d'Annonay, et lui consacre toute sa vie professionnelle et familiale, avant de passer la main à sa nièce Eliza Bolloré, mari et descendants.

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Autres lectures : « Nicolas Le Marié, maire (1832) » ¤ « 1821-1822 - Premières transactions foncières du marchand Nicolas Le Marié » ¤ « 1852 - Acquisitions à Odet et au moulin de Coat-Piriou par Nicolas Le Marié » ¤ « 1825-1860 - Relevés de production de la papeterie d'Odet » ¤ « 1859 - Construction du pont entre Odet et Briec » ¤ « L'importation des premières machines de fabrication du papier en continu à Odet » ¤ « Jean-Guillaume Bolloré (1788-1873), fabricant chapelier » ¤ « Elisabeth Bolloré (1824-1904), nièce, fille, épouse et mère de fabricants de papier » ¤ « Jean-René Bolloré (1818-1881), chirurgien et entrepreneur » ¤ « La création de la manufacture d'Odet et ses fondateurs » ¤ « Le musée d'Odet du bicentenaire en visite virtuelle, bollore2022.com » ¤ « La plaque inaugurale de la manufacture de papiers d'Odet en 1822 » ¤ 

Présentation

Nicolas Le Marié est né le 16 floréal de l'an 5, à savoir le 05.05.1797 [1] place Maubert à Quimper. Il épouse le 19.07.1824 Marie le Pontois de Lorient (d'une famille originaire de Normandie). Il décède le 04.03.1870 à l'âge de 72 ans au Moulin d'Odet en Ergué-Gabéric.

Son grand père était marchand à Tussé en Nornandie. Son père François-Marie exerçait le métier de marchand "fayencier" place Maubert (tout en demeurant rue Kéréon) [2], et peut-être aussi celui de directeur d'une manufacture de tabac de Morlaix (date et source non attestées [3]).

Nicolas Le Marié habitait Odet, et il fut le fondateur de la manufacture à papiers d'Odet. Il tiendra pendant 40 ans les rênes de l'entreprise qu'il transmettra à sa nièce et son mari, tous deux Bolloré.

La parenté est visible sur l’arbre généalogique ci-dessous  : sa sœur Marie-Perrine va se marier avec un Jean-Guillaume Bolloré, et la fille de cette dernière, prénommée Marie-Perrine-Elisabeth, se mariera avec Jean-René Bollore le médecin.

François Marie LE MARIÉ (1754-1825), marchand
 x 1784 Perrine Jeanne Marie GOSSELIN 1763-1802
 ├> Jean François Nicolas (1785-?)
 ├> Jeanne Françoise (1786-?)
 ├> Marie Petronille (1787-1810)
 ├ x 1809 Charles Alexandre Leger BERNAY (1786-?)
 ├> Marie Perrine Guillemette (1790-?)
 ├ x 1819 Jean Guillaume Claude BOLLORÉ (1788-1873)
 ├ └> Marie Perrine Elisabeth Bolloré (1824-1904)
 ├ x 1846 Jean-René Bolloré (1818-1881)
 ├> Françoise Marie (1794-1830)
 ├ x 1818 Philippe Mathieu le PONTOIS (1793-1842)
 ├> François Marie (1795-1854), architecte
 ├ x 1826 Corine Olympe GIROUX (1800-1831)
 └> Nicolas (1797-1870), papetier
      x 1824 Marie le PONTOIS (1803-1870)
      ├> François Théodore (1825-1833)
      ├> Jeanne Marie Léonide (1827-1843)
      └> Marie Eugénie (1834-1923), religieuse

Nicolas Le Marié avait un frère aîné [4], né deux ans avant lui, habitant Paris et exerçant le métier d'architecte : François Marie [5] [6] (1795-1854). Elève de François Debre à l'école d'architecture et des beaux-arts de Paris, il a réalisé entre autres la prison pour dettes de la rue de Clichy à Paris (9e), l’hôtel de Ville et le Palais de justice de Quimper, la chapelle de Notre-Dame-des-Flammes à Meudon (suite à la catastrophe ferroviaire de Meudon où il a perdu fils, belle-sœur et cousin) ...

Le pied-à-terre familial de son frère à Paris dans les années 1830-50 explique sans doute les facilités de séjour de Nicolas Le Marié lors des expositions parisiennes de 1839 et 1844 (cf. chapitre suivant sur la création de l'entreprise). Les deux frères sont les deux premiers témoins du mariage de leurs cousins Bolloré, Jean-René et Eliza, en 1846, tous deux « oncles maternels de la contractante » [7].

En 1861 Nicolas Le Marié fait une attaque cérébrale suite à une chute. Ne laissant pas d"héritiers pour prendre sa succession (ses deux premiers enfants étant décédés et sa fille cadette dans les ordres religieux), il doit passer la main à son neveu le docteur Bolloré. Sa fille Marie-Eugénie, religieuse va lui survivre et continuer à demeurer à Odet, avant de décéder à Amélie-les-bains ; elle fera notamment un don en 1868 à la fabrique de Pleuven [8].

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Une rue de la commune d'Ergué-Gabéric est dédiée à Nicolas Le Marié : comme par hasard il s'agit de la rue, à Pen-Carn-Lestonan au centre de la commune, où siègent le site de Bolloré Technologies et l'usine Bascap.

Création et développement d'un moulin à papier

Inauguration en 1822

En 1822 Nicolas a 24 ans et il se lance dans une aventure industrielle, la création de la manufacture de papiers à Odet. Certains biographes insistent sur le fait qu’il s'est associé à l'un de ses beaux-frères Bolloré. Or cette assertion repose sur une fausse plaque de commémoration de la pose de la première pierre, .

En effet la transcription de cette plaque aujourd’hui disparue a été publiée à deux reprises, l’une en 1922 dans le discours du centenaire de l’abbé André-Fouët, l’autre en 1930 dans le « Livre d’or des papeteries René Bolloré ». Et de plus, la plaque originale qui naguère était apposée à l'entrée de l'usine a été retrouvée en 2017-18 et mise en valeur dans le musée du bicentenaire.

En comparant les deux versions on constate que la phrase initiale « Nicolas Le Marie, de Quimper a posé la première pierre » a fait l’objet d’une transformation surprenante. Alors que le vrai complément « ont aussi contribué par leurs conseils » associe le père François Le Marie et le mari de sa sœur, Jean-Guillaume Bolloré (et non R.G.).

Les papiers d’archives qui témoignent des premières années d'activité de la papeterie ne sont pas légion. C’est sans doute la raison pour laquelle la légende a toujours prédominé, et le rôle de ses successeurs, les Bolloré, a souvent été exagéré jusqu'à en faire des fondateurs liminaires.

Débuts d'activité

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Aux Archives Départementales du Finistère de nombreux documents attestent de l'énergie de Nicolas Le Marié, notamment une lettre de sa main du 20 janvier 1825 [9] dans laquelle il écrit à l’Administration préfectorale : « … divers renseignements concernant mon établissement », « Ma fabrique étant toute nouvelle ... », « le nombre de mes ouvriers ... ». L’emploi répété du possessif renforce l’idée d’un homme déterminé à assumer ses responsabilités et ses projets d’entreprise.

En 1838 il obtient l'autorisation préfectorale d'installer une chaudière à vapeur de 12 chevaux et 3 atmosphère de pression dédiée « au séchage des papiers et au lessivage des drilles [10] » (les chiffons composant la pâte).

Dans les mêmes séries d’archives, 6M 1029 de l’an IX-à 1829 et 6M 1032 au-delà de 1856 [9], on trouve les statistiques de production réclamées par l’Administration Départementale. Ces chiffres étaient fournis par Nicolas Le Marié et ensuite transmises par le maire de l’époque.

En 1856, ce dernier, Michel Feunteun, écrit  : « Comme Monsieur Le Marié est absent depuis plusieurs jours, il m'a été impossible jusqu'ici de vous faire parvenir les renseignements que vous me demandez, par votre lettre en date du 7 courant, sur la situation des travaux industriels de la fabrication de papier qui se trouve sur ma commune. Dès que Monsieur Le Marié sera de retour, je m'empresserai, Monsieur le Préfet, de vous expédier les renseignements que vous désirez. » [9]

La progression de la production de papiers peut être mesurée par le nombre d’ouvriers occupés : 31 en 1828, 95 en 1856, 102 en 1857, 107 en 1859, 110 en 1860. En 1928 la production est répartie ainsi : 90.000 kgs de drilles (*) pour produire 3456 rames de papier blanc et 4218 rames de papiers gris. En 1828 le salaire journalier était de 2 francs 25 pour les ouvriers et de 1 franc 25 pour les ouvrières. En 1860 il est en moyenne de 1 franc 80. [9].

En 1856, une note de la main de Nicolas Le Marié, de la même écriture que sa lettre de 1825, accompagne le relevé de production : « Qu’entend-on par Causes des augmentations ou des réductions ? Si c’est des quantités produites, elles s’accroissent chaque année, et le personnel aussi. Si c’est la valeur des produits, ils se sont élevés par suite des hauts prix des matières premières et des demandes assez actives. Observation : par suite des travaux en cours d’exécution, cette fabrique tend à un plan de grand développement ». [9]

Expositions de 1839 et 1844

Les expositions des produits de l'industrie française organisées à Paris de 1798 à 1849 afin « d'offrir un panorama des productions des diverses branches de l’industrie dans un but d’émulation » sont à l'origine de la première exposition universelle en 1851.

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En 1839 et 1844, du 1er mai au 29 juin aux Champs-Élysées, Nicolas Le Marié est inscrit comme exposant officiel de sa fabrique de papiers d'Odet. En 1839 il participe dans la catégorie « Papier de tenture et Papier cloche » et les papiers peints en 1844.

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Sa faible notoriété et la jeunesse de son entreprise Le Marié ne lui permettent pas d'être médaillé. Il faut dire que des fabriques plus établies raflent les médailles, notamment en Ardèche M. Montgolfier d'Annonay en 1839 et les Canson et F.M. Montgolfier en 1844 avec qui il a toujours eu des relations privilégiées, ainsi qu'il en ressort du témoignage de l'abbé André-Fouet en 1922 : « À un moment, il était regardé comme l'un des plus fins papetiers de France, presque l'égal de ses amis, les Montgolfier » (dès 1834 une machine en provenance à Annonay avait été livrée à l'usine d'Odet).

Habitat et recensement

Dès 1822 Nicolas Le Marié va s’établir durablement à Odet, alors que les lieux ne comportaient aucune habitation, hormis les moulins de Meil-Mougeric et de Gougastel sur la commune de Briec. Côté Ergué-Gabéric sur le recensement de 1790 on ne décompte aucune maison habitée.

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Or dans le recensement de 1836, sur le lieu-dit du Moulin d’Odet, on dénombre 45 habitants répartis sur quatre maisons principales. Nicolas Le Marié, qualifié de fabricant de papier, en fait partie avec son épouse, ses deux premières filles, un cousin Jean-Marie Le Pontois (qu'on appelait « Jean du Moulin »), et les domestiques. A noter que 32 habitants sont déclarés habiter précisément au « moulin à papetier », car logés sur place par Nicolas Le Marié. Les autres chefs de famille d’Odet (et de Keronguéo) sont tous papetiers ou papetières, à l’exception d’une cultivatrice et de deux domestiques.

Passage de relais

En guise d’exemple de fin des pouvoirs uniques de Nicolas Le Marié sur la bonne marche de son entreprise, on peut prendre le dossier de demande de construction en 1859 du pont de pierres au-dessus de l'Odet menant à la commune de Briec (Archives Départementales du Finistère cote 3 0 595). La signature de ce document est triple : « Bolloré aîné, Lemarié et Feunteun maire ».

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Celui qui signe « Bolloré aîné » n’est autre que le beau-frère de Le Marié : Jean-Guillaume Bolloré, directeur d'une fabrique de chapeau (25 ouvriers) à Quimper-Locmaria ; époux en 1819 de Marie Perrine Le Marié, la demi-sœur de Nicolas Le Marié. Il signe ainé, vraisemblablement par rapport à son frère René-Corentin, et participe dès lors aux affaires de Nicolas Le Marié.

En 1861 Nicolas Le Marié fait une chute accidentelle et en sort très diminué physiquement et intellectuellement. Son neveu Jean-René Bolloré, gendre de Jean-Guillaume et fils de René-Corentin, va prendre la suite de Le Marié à la direction la papeterie d’Odet qu’on pourra dès lors appeler « Papeterie Bolloré ». Car, autant les Bolloré s’étaient tenus à l’écart des activités papetières lors des premières décennies de la manufacture, autant à partir de la fin des années 1850 via la cogestion de Jean-Guillaume, et en 1861-62 via la pleine direction de Jean-René, ils vont conserver l'entreprise sur six générations.

Annotations

  1. 16/flor/An05 (5 mai 1797). Quimper. Lieu-dit : Place Maubert (Pays : Quimper ) : LE MARIE Nicolas, garçon, Enfant de François, âgé de 42 ans, et de GOSSELIN Perrine, âgée de 34 ans. Témoins : Jean François LE MARIE, 06 ans / Catherine Anne LE MARIE, 08 ans, Soeur du précédent / Jean Baptiste GILLIS, (signe) / Joseph SCOUARNEC. Notes - Enfant présenté par Le Père (signe), originaire de Tellières, Orne, La mère est originaire de Malestroit. Facsimilé de l'acte : Image:N-LeMarié-16floréal5.jpg
  2. Source Maurice Penverne: En 1793, François LE MARIÉ est dit marchand fayencier, domicilié place Maubert à Quimper, en 1796 il demeurait rue Kereon.
  3. Dans son discours lors des fêtes du centenaire (1822-1922) l’abbé ANDRÉ-FOUËT à la page 3, parlant de François LE MARIÉ, le père de Nicolas LE MARIÉ, écrivit ceci : « Venu de la Ferté-Macé à Morlaix, il y avait dirigé une manufacture de tabac. Le monopole définitif que la loi de 1816 venait de donner à l’État forçait le dernier de ses fils à diriger ailleurs son activité » (Le dernier de ses fils, c’est à dire Nicolas LE MARIÉ). Des recherches ont été effectuées en vain pour retrouver la trace à Morlaix de François Le Marié entre 1797 et 1816.
  4. Grand merci à Yannick D'hervé de nous avoir signalé l'omission généalogique relative au frère aîné architecte de Nicolas Le Marié.
  5. Naissance - 07/prai/An03 - Quimper (Place Maubert) de LE MARIE François Marie, fils de François, Marchand , âgé de 41 ans et de Perrine GOSSELIN, âgée de 32 ans. Témoins : Marie Jeanne COROLLER, 40 Ans, Veuve HERVE, de Quimper / Nicolas GOSSELIN, 61 Ans, Marchand. Notes : Enfant présenté par Le Père, Le père est originaire de Tesse, District De Domfront (orne), La mère est originaire de Malestroit district de Ploërmel (Morbihan). Facsimilé de l'acte : Image:FM-LeMarié-7prairial3.jpg
  6. François-Marie Le Marié (1795-1854) est né le 7 prairial de l'an 3 à Quimper d'un père marchand originaire de Normandie. Il est admis en 1816 à l'école des beaux-arts de Paris, comme élève architecte de François Debret. Il épouse Corine Olympe Giroux en 1826. Architecte voyer de la Ville de Paris de 1826 à 1845, il devient membre en 1841 de la Société centrale des architectes français. Ses réalisations : la prison pour dettes de la rue de Clichy à Paris (9e), l’hôtel de Ville et le Palais de justice de Quimper, la chapelle de Notre-Dame-des-Flammes à Meudon (suite à la catastrophe ferroviaire de Meudon où il a perdu un fils, une belle-sœur et un cousin).
  7. Mariage - 02/08/1846 - Quimper de BOLLORE Jean Marie, né le 31/05/1818 à Douarnenez, fils de René Corentin, décédé à Douarnenez et de Marie Nicolase BELBEOCH, décédée à Douarnenez et de BOLLORE Marie Perrine Elizabeth née le 21/04/1824 à Quimper, fille de Jean Guillaume et de Marie Perrine LE MARIE, décédée à Quimper. « De quoy avons dressé acte en présence de Messieurs 1° François Marie Le Marié, âgé de cinquante et un ans, architecte, domicilié à Paris, oncle maternel de la contractante ; 2° Nicolas Le Marié, âgé de quarante neuf ans, fabricant de papier, domicilié à Ergué-Gabéric (finistère), aussi oncle maternel de la contractante  ». Facsimilé de l'acte : Image:1846MariageBolloré.jpg
  8. Article de Gilbert Lennon dans le bulletin n° 41 de Foen-Izella en juin 2012.
  9. 9,0 9,1 9,2 9,3 et 9,4 Documents aux Archives de Quimper contenant des courriers et des relevès de production de la papeterie d'Odet entre 1825 et 1860 : Cotes 6M 1029 et 6M 1032
  10. Drille, s.f. : comme expression d'une valeur minimale, "chiffon" ; d'où, "pas grand-chose" ; source : Dictionnaire du Moyen Français. Chiffon propre à faire du papier ; source : dictionnaire étymologique de B. de Roquefort. [Terme] [Lexique]



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Thème de l'article : Biographie d'un gabéricois Création : mars 2021    Màj : 6.11.2023